Dans le paysage varié des écarts de revenus, certaines modalités du “travailler plus” méritent un petit détour… La tarification et la limitation des heures réalisées en sus du temps de travail contractuel sont encadrées par la loi. Ce seul cadre légal a déjà des effets inégalitaires.
Les heures sont dites complémentaires quand elles excèdent le temps contractuel d’un emploi à temps partiel. Leur nombre ne peut dépasser 10% des heures prévues au contrat. En cas d’accord conventionnel, c’est-à-dire un accord de branche ou d’entreprise, le dépassement maximal autorisé passe alors au tiers de la durée hebdomadaire ou mensuelle de travail prévue dans le contrat de travail. Quant aux heures dites supplémentaires, ce sont celles effectuées au delà d’un temps plein.
Parlons d’abord du taux horaire.
La législation prévoit un paiement des premières heures complémentaires inférieur à celui des heures supplémentaires (donc à l’avantage du temps plein). Dans la limite du tiers mentionné plus haut, elles sont en effet majorées à 10 % pour celles effectuées dans la limite du 1/10 de la durée contractuelle du travail, puis à 25 % pour les suivantes, qui seraient prévues conventionnellement.
Quant aux heures supplémentaires, elles sont majorées, elles, à 25%… dès la première.
Si une hausse d’activité justifie un recours à des heures additionnelles de travail salarié, cette majoration différenciée creuse les écarts de revenus entre les personnes actives à temps plein et celles à temps partiel. D’une part, parce qu’elles sont moins bien rémunérées, d’autre part, parce que les heures complémentaires sont limitées davantage en nombre. Or le groupe à temps plein est composé de 56% d’hommes pour 44% de femmes (puisque 92% des hommes actifs et 71% des femmes actives étaient à temps complet en 2018), tandis que le groupe à temps partiel est composé de 78% de femmes pour 22% d’hommes (puisque 29% des femmes actives pour 8% des hommes actifs étaient à temps partiel en 2018). Puisqu’elles sont très majoritaires dans le groupe à temps partiel, une mesure défavorable aux temps partiels (ici, la moindre majoration d’une heure additionnelle au contrat de travail) touche d’abord des femmes : pourrait-on faire valoir une discrimination indirecte vis-à-vis des femmes ? Interrogation sans objet si autant d’hommes que de femmes travaillaient à temps partiel.
Parlons ensuite du nombre d’heures.
Les personnes à temps partiel se voient moins proposer d’heures complémentaires et l’employeur risque une requalification en temps plein en cas de pratique fortement répétée. Protecteur pour qui a choisi de travailler moins. Protecteur aussi pour qui subit un temps réduit (l’exercice parallèle d’un autre emploi doit rester possible). Cependant cette limitation en heures se traduit en limitation de revenu.
Les personnes salariées à temps complet ont effectué un peu plus de 10 heures supplémentaires en moyenne au cours du 4ème trimestre 2018[i]. Je n’ai pas trouvé de données récentes concernant la réalisation d’heures complémentaires. Cependant, en moyenne pour l’année 2007, 28% des personnes salariées à temps partiel ont effectué 17 heures complémentaires tandis que 41% de celles à temps complet ont réalisé 49 heures supplémentaires (DARES, 2010)[ii]. Trois fois plus d’heures, payées davantage, pour beaucoup plus de personnes, qui sont plutôt des hommes.
Le “gagner plus” a sans doute deux poids, deux mesures. Il me paraît bel et bien se conjuguer d’abord au masculin.
Parlons enfin des politiques du “travailler plus”.
En plus de la dénonciation des effets inégaux de l’écart de rémunération horaire des heures additionnelles selon le temps de travail, je fais donc une hypothèse plus large : le recours à des dépassements horaires à des fins de flexibilité creuse l’écart de rémunération entre le groupe des femmes et celui des hommes. Du fait d’une répartition déséquilibrée des hommes et des femmes dans les contrats à temps complet et à temps partiel (cf. mon post “Des temps partiels spécial femmes”) combinée à la limitation forte du dépassement horaire pour les temps partiels. Et du fait que cet écart ne risque pas d’être rattrapé par un taux horaire des femmes qui serait plus élevé, puisqu’elles sont concentrées dans des métiers peu rémunérateurs (cf. mon post “Ségrégation horizontale, têtue mais banale”).
Par conséquent, tant que les femmes constituent la population majoritaire des emplois à temps partiel, les mesures invitant les entreprises à recourir aux heures supplémentaires, par la carotte de la baisse des cotisations sociales associées, risque (en plus de ce qu’il y aurait à dire sur les exonérations de cotisations) d’augmenter les écarts de revenus du travail entre les salariés et les salariées.
A ma connaissance, nous ne disposons pas d’étude pour l’instant pour confirmer ou infirmer mes hypothèses quant aux effets, sur les inégalités de revenus entre les sexes, des lois et politiques concernant les dépassements horaires. Du moins, je n’en ai pas trouvé… C’est fort dommage, car le “gagner plus” du dépassement horaire a sans doute deux poids, deux mesures. Il me paraît bel et bien se conjuguer d’abord au masculin. Si je ne me trompe pas, le “gagner plus” serait alors un drôle de pied de nez aux discours affirmés sur l’égalité professionnelle !
[i] Source : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/dares-etudes-et-statistiques/statistiques-de-a-a-z/article/les-heures-supplementaires
[ii] Source : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2010-029.pdf