Elle regarde les post-it étalés par terre et avance avec une pointe d’hésitation :
– J’ai vraiment des réserves sur l’exigence « La fin du patriarcat », parce que moi, je ne veux pas d’un matriarcat.
Ecouter “2022 – Image de la fin du patriarcat” en audio
La femme qui vient de prendre la parole n’est pas venue à cette formation avec des motivations féministes ; les siennes sont plutôt écologistes. Mais de fil en aiguille, parmi les sujets de société qui ont délié les langues sur le juste et l’injuste subi dans la société, les violences faites aux femmes ont surgi, à travers un récit de harcèlement de rue. La situation a été choisie pour un travail par l’ensemble du groupe. Chaque personne a noté sur un post-it des exigences citoyennes pour que l’injustice produite n’advienne plus. Post-it assemblés, idées hiérarchisées et structurées, ces exigences permettront de rédiger un plaidoyer. Suite à sa réaction, tu sens un début de contrariété monter en toi. Car ici aussi, tu sembles devoir t’expliquer, te justifier. Tu es pourtant entrée dans ce groupe avec l’espoir d’un répit. Vous seriez forcément entre personnes averties sur ces sujets. Tu te laisserais aller, en tant que participante cette fois, au lieu d’être la formatrice ou la féministe de service. Et bien non. Et c’est bien toi, l’autrice du post-it jugé problématique. Toi qui dois défendre la visée si transgressive, si ambitieuse, si peu réaliste qu’est la fin du patriarcat.
Deux options. Soit tu laisses répliquer une autre personne, soit tu interviens pour nourrir la discussion nécessaire. Tu décides d’opter pour une question, afin de mieux comprendre son point de vue, ce qu’elle craint.
– Qu’est-ce que tu veux dire ? Qu’est-ce qui te fait penser que la fin du patriarcat aboutirait au matriarcat ?
– Et bien je trouve que dans certains domaines les femmes ont tout le pouvoir. Je n’aime pas du tout ces endroits où les femmes prennent le pouvoir et excluent les hommes. Nous devons faire société ensemble et partager toutes les activités humaines. Par exemple, quand j’ai accouché, mon mari a été complètement exclu par la maternité. Il n’avait quasiment pas le droit d’être père, de s’occuper de l’enfant. Tout était fait, par des femmes, pour le mettre de côté, afin que seules des femmes s’occupent ensuite des enfants.
– Alors on est d’accord ! Parce que ce que fait le patriarcat, c’est qu’il se nourrit justement de la division sexuelle du travail. Il se repose sur les rôles différenciés que tu dénonces. C’est dans l’intérêt du patriarcat que les femmes soient assignées aux rôles domestique et familial, et que les hommes en soient plutôt exclus. Que ce soit très secondaire pour une grande partie d’entre eux. C’est dans son intérêt que les femmes y trouvent suffisamment de valeur pour elles. Comme ça, elles renoncent à explorer autant que les hommes toutes les autres activités humaines, toutes celles qui sont valorisées socialement et en réalité peuvent orienter la marche du monde. En dénonçant le patriarcat, on dénonce une forme de pouvoir, et ce n’est sûrement pas pour le remplacer par un autre. La fin du patriarcat n’est pas le matriarcat. D’ailleurs si j’avais eu cette pensée, c’est comme ça que j’aurais formulé mon exigence : « mise en place du matriarcat ». La fin du patriarcat, c’est la fin de la domination masculine, la fin des rôles attribués selon le sexe. C’est donc l’obtention d’une réelle mixité femmes/hommes dans toutes les activités humaines. Et, pour moi et beaucoup d’autres féministes, c’est même la remise en cause de tous les autres rapports de pouvoir, afin d’obtenir d’égales libertés entre les personnes, qui qu’elles soient.
Elle écoute avec intérêt. Le post-it est conservé. Il sera même retenu comme le sommet de la hiérarchie des exigences formant le plaidoyer formulé dans l’exercice du lendemain. Ce lendemain, vous travaillerez même ensemble à l’écriture du texte. Elle te confiera que l’échange de la veille a été une véritable prise de conscience pour elle. Soulagement en ce qui te concerne.
Cet échange te reste en mémoire, parce qu’il exprime à la fois un grand malentendu et un manque d’imaginaire, qui peut être le terreau de la peur. Tu devrais sans doute participer davantage à la création d’un imaginaire collectif sur une société délivrée du patriarcat. Car en même temps, toutes les féministes seraient libérées de l’image fausse et repoussoir qu’a encore ici ou là leur projet de société. Trop souvent, on se contente, pour se figurer un monde égalitaire, de penser un équilibre femmes-hommes dans les rapports de pouvoirs, avec la mise en valeur de femmes aussi puissantes que certains hommes. Comme si mimer les hommes puissants dans leur capacité à exploiter ou à dominer d’autres personnes était le projet féministe par excellence. Ce n’est absolument pas le cas ; ce serait même à la fois triste et terrifiant. La puissance à développer est autre. C’est une puissance relationnelle et émotionnelle, une puissance de création, de la pensée, de la défense de ce qui compte. Elle permettrait de défendre l’ensemble du monde vivant, de lutter contre tout ce qui engendre la logique de l’assujettissement, de l’exploitation, de l’emprise sur autrui et de la destruction.
En attendant de trouver ou d’établir une liste de films ou de livres qui décriraient une organisation sociale féministe, tu rêverais que soit davantage connue l’œuvre merveilleuse de l’écrivaine américaine Ursula K. Le Guin (La main gauche de la nuit, Les dépossédés), ainsi que celle plus récente de Wendy Delorme (Viendra le temps du feu). Car ces livres-là t’ont déjà donné l’espoir que quelque chose d’autre est possible.
Cet été j’ai été interpellée drôlement
Par une jeune enfant que je ne connaissais pas
Je marchais seule près d’elle, regagnant mon logement
Entre nous ses deux frères lui emboitaient le pas
Ecouter “Tromperies” en audio
Le trajet n’a duré qu’un moment riquiqui
Leurs bavardages et rires formaient le fond sonore
D’un coup elle a dit « Chut… il y a une mamie »
Ma réplique chuchotée a fusé « Pas encore ! »
Puis je leur ai souri d’abord toute attendrie
Qu’en plus elle ait pensé défaillante mon ouïe
Elle s’est figée un peu les grands semblaient gênés
Et tous deux m’ont priée alors de l’excuser
J’ai soudain pris conscience que moi aussi j’ai pu
A une femme inconnue inventer ce statut
La désignant « mamie » par affabulation
L’assignant mère d’abord puis grand-mère sans question
Ensuite j’ai pris conscience qu’à travers ma réplique
J’avais placé mes filles dans le même avenir
Au lieu de « pas encore » qui présume de la suite
Un jovial « Pas que je sache » aurait dû me venir
J’ai rassuré les frères que la honte gagnait
J’ai rassuré la sœur aux sept ans supputés
Vers ma destination j’ai bifurqué pensive
Imputant cette sortie à ma chevelure grise
Depuis que la nature se charge de sa teinte
Ma crinière prend un air d’années accumulées
Mais ce temps et ces litres passés en couleur feinte
Quelle belle satisfaction d’en être libérée
En assumant sereine cette marque du passé
Qui arrive dès 30 ans, dès 50 ou jamais
Ne suis-je pas plus proche de mon humanité
Habiter mieux mon corps au lieu de l’accabler
Refuser les messages fustigeant la prise d’âge
Y voir la liberté
De soi se rapprocher
Mi 2021, ta dernière, alors en fin de 4ème, te fait part de son envie de pratiquer une certaine activité avec plusieurs de ses amies. Elle ajoute « Mais j’ai peur que tu me dises non ».
Ecouter 2022 – Voyage parental en cheerleading
Tu la rassures d’abord : « Mais enfin, si ça te plait, à moins que cela nuise à quelqu’un (principe de base du féminisme), ou que l’activité en question repose beaucoup trop sur la disponibilité des parents (genre c’est hyper loin, ça bloque plein de weekends et on se transforme en taxi), je ne vois pas de raison valable de refuser… ». Elle te révèle alors qu’elle veut faire du « cheerleading ». Petite leçon en passant : ta fille sait pertinemment que tu n’échappes pas aux préjugés, comme tout le monde, alors que tu ne cesses de les combattre…
Bien sûr, elle perçoit la nécessité de détailler un peu, parce que sa mère non avertie ne voit pas bien de quoi il s’agit. Tu risques bien de confondre avec les performances avant matchs de football américain données par les équipes de pom-pom-girls. Le cheerleading vient bien des Etats-Unis et s’origine dans cette tradition d’encouragement dynamique et chorégraphié des performances masculines annoncées. Tu commences à comprendre pourquoi elle avait peur de ta réaction. Cependant, c’est devenu un sport à part entière désormais, acrobatique et sans équipe à encourager. Si elle s’attendait à des préjugés probables de ta part, c’est que l’activité n’est pas tout à fait pratiquée en mixité. Bien sûr, elle a raison : tu as peur que les stéréotypes pesant sur les filles y soient renforcés. Heureuse de son enthousiasme, tu procèdes à son inscription après t’être renseignée sur le co-voiturage possible avec les parents des copines, et tu te prépares à te confronter à tes préjugés en situation. Son père, lui, partant pour la découverte et rassuré par le fait que sa fille n’allait pas jouer les faire-valoir d’une autre équipe de sport, est plus confiant.
Dès septembre, se mettent en place deux entraînements par semaine… et des séances complémentaires autant que de besoin pour les démonstrations, compétitions et autres rencontres qui viennent rapidement occuper vos dimanches, comme tu le voyais venir. Dès le premier jour, tu apprends que le championnat de France est tout simplement au programme. Ça frotte un peu – tu es plutôt pro-coopération que pro-compétition -, mais tu te prends au jeu, tu découvres un monde, tu observes. Deux démonstrations et plusieurs journées de compétitions plus tard, tu décides de te livrer au dépôt écrit de tes observations et de ton sentiment sur le sujet.
Vous voici donc, parents décidés, accompagnant votre benjamine dans cette année de découverte. Vous voici co-voiturant les trois ados entre parents de trois familles deux fois par semaine. Vous voici sur les routes les weekends de compétition. Vous voici modifiant le trajet pour trouver le gymnase de remplacement quand le gymnase habituel est réquisitionné à cause du grand froid, ou traversant Lyon jusqu’au parc de La Tête d’Or certains jours de séances additionnelles. Quant à votre ado, motivée par les performances visées, les championnats à venir, l’esprit d’équipe et les discours galvanisants des coaches, elle fait subir quotidiennement à son corps – pourtant prédisposé à la souplesse – des étirements et entrainements en tous genres sur le parquet du salon, absorbée par des leçons soigneusement sélectionnées en ligne.
Alors oui, il s’agit d’une activité pratiquée quasi-exclusivement par des filles, toutes vêtues de costumes paillettes choisis par les jeunes coaches très engagées (shorts recouverts de jupes, les rares garçons de l’équipe senior portant une tenue différente, plus sobre et moins ornementée), agrémentés de jolis nœuds sur la tête, avec sourire obligatoire. Toutefois, cette mise en scène ne dure qu’un petit moment au lancement des représentations/compétitions. Car, après la courte présentation dansée chantée criée de l’équipe en lice avec panneaux et pompons pailletés – le tout sur une compil de fond sonore que tu hésites à appeler musique tellement cela s’apparente à du bruit instrumenté -, les accessoires sont déposés dans un coin du tapis et place au spectacle !
Les lieux d’entraînement et de représentation s’éloignent de chez vous. Plutôt que de déposer votre fille au rendez-vous du départ du car, vous décidez de l’accompagner, d’en profiter pour visiter du pays, quelques haltes touristiques étant possibles autour de l’heure du court passage de son équipe. Après Villeurbanne pour une démonstration du club, puis à nouveau pour les sélections des championnats de France, vous prenez la route pour Andrézieux-Bouthéon (près de Saint-Etienne) puis revenez à la Halle des sports de Lyon, et enfin allez à Vichy pour le championnat de France.
Vous observez donc de près cette année-là le sport d’équipe, la compétition, l’engouement des parents habitués dans les tribunes et leur engagement dans les activités bénévoles connexes, l’excitation des performeuses et des plus rares performeurs, l’animation pleine d’énergie de ces journées inoubliables et fortes en émotion. Certains parents sont très équipés pour émettre un maximum de bruit en groupe. Il apparaît évident que nombre d’entre eux ont une vie sociale organisée autour de cette activité. Les enjeux sont énormes pour certaines équipes. Remuée et en colère que des personnes souffrent autant à cause d’un sport, tu assistes à plusieurs reprises à des déversements de larmes que d’inconsolables perdantes ne parviennent pas à tarir en fin de compétition. Toi, ce sont d’autres types de larmes que tu verses lors de ces rencontres. Chaque fois, tu n’arrives pas à arrêter leur montée, puisque tu revis, discrète mais nostalgique, tes 17 ans, passés aux Etats-Unis, quand tu participais aux encouragements des enfants de la famille américaine qui t’a accueillie là-bas plusieurs mois. Les compétitions de natation, matchs de baseball ou de football américain avaient animé nombre de tes dimanches outre-atlantique. Ce fut une étrange découverte que ces montées d’adrénaline, un monde nouveau pour toi qui n’avais jamais pratiqué de sport en club. Les 30 ans qui ont passé, ta fille maintenant en lice, unie à d’autres, ta peur qu’elle souffre de perdre au lieu de se réjouir de participer, ton retour dans les tribunes après toutes ces années… comment contenir ces larmes ?
Retour à Villeurbanne. La première démonstration de cheerleading est bien sûr l’occasion de te livrer à une petite analyse genrée. Opportune déformation professionnelle. La tenue des filles contraste avec la sobriété de celle réservée au rare garçon. Résultat : lui est évidemment mis en valeur, bien au milieu, ce qui attire les regards spécifiquement sur lui tandis que les filles apparaissent en masse, presqu’indifférenciées. L’unité ne semble visée qu’à la seule condition de préserver la différence de sexe.
Assez vite, tu te rends compte que ce sport marque des points qui viennent contrebalancer ces premiers signes d’assignation de genre. La communication de la fédération d’abord, via ses affiches à l’entrée des rencontres, montre la volonté d’attirer les filles comme les garçons dans l’activité. En outre, la diversité des rôles, des placements, des tâches et aptitudes requises dans les performances montre – et les équipes en témoignent – l’accueil possible d’une grande diversité de formes corporelles. Puisqu’il y a les « bases » et les « back » qui soutiennent les « fly », puisqu’il y a les corps légers et les corps forts, les grandes tailles et les petites tailles, les jeunes et les moins jeunes, il y a de fortes chances pour que chaque personne puisse trouver sa place. Quand des garçons sont dans les équipes, et s’ils ont un plus gros gabarit, ils sont sans surprise placés dans les « bases » ou les « back » soutenant les « fly ». Cependant, tu as pu avec plaisir constater l’audace d’une équipe qui avait placé un garçon en « fly ». Pour progresser vers plus d’égalité, il resterait à généraliser cette possibilité puis à encourager de faire soutenir des « fly » garçons par des « bases » filles, scénario que tu n’as pas observé pendant cette année (mais ta fille… si !). Peut-être qu’un mélange banalisé des âges favoriserait cette combinaison. Enfin, en une année, les progrès de ta fille, et plus largement des trois amies débutantes, ont été exponentiels. Elles ont acquis de la confiance en elles-mêmes autant qu’en leurs co-équipières. Elles ont appris à se soutenir entre elles et à évaluer les conséquences d’une défaillance personnelle. La responsabilité de chacune est engagée pour éviter de mettre en danger celle dont on accueille la chute comme celles qui l’accueillent. Elles ont donc vécu l’expérience de tomber d’abord… et appris ensuite à prévenir les chutes de chacune. Elles ont appris la prise de risque et sa maîtrise. Elles se sont dépassées, physiquement, techniquement et mentalement, comme jamais elles ne l’auraient imaginé. La solidarité au sein de l’équipe est une des clés du progrès de toutes, et donc de chacune d’entre elles. Dès que tu les conduis quelque part, tu ressens leur excitation de vivre une aventure collective qui les fait sortir de leur zone de confort, leur envie de mériter la confiance qui leur est donnée dans leurs capacités à se dépasser ensemble. Les films et photos de pyramides humaines s’accumulent, les médailles arrivent, les souvenirs s’enchaînent. De découverte en découverte, d’observation en réflexion, tu étoffes ta culture générale et mets à distance tes réticences et préjugés de départ.
L’année se termine avec le championnat de France auquel l’équipe de ta fille participe grâce à un repêchage suite aux sélections. C’est à Vichy, ville d’eaux, que les épreuves sont programmées. Vous avez décidé de dormir à l’hôtel mais n’avez trouvé une chambre qu’à 45 minutes de là. Le matin, tu visionnes par hasard un court reportage sur les aventures de l’exploratrice Alexandra David-Neel. Tu le regardes avec attention parce que ce nom te dit quelque chose : c’est celui de l’un des gymnases de remplacement de Villeurbanne auquel tu as conduit les trois amies plus tôt dans l’année. La municipalité travaille depuis un moment à mettre en lumière des femmes de valeur. Tu te promets de te renseigner davantage sur sa vie.
A Vichy, vous découvrez le désastre auquel vous avez échappé : des grêlons de la taille de balles de tennis ont dévasté la ville. Les odeurs de charogne vous montent au nez dans le parc où des milliers d’oiseaux morts jonchent le sol au milieu d’un parterre de branches d’arbres brisées. Quelques survivants blessés claudiquent au milieu de leurs congénères sans vie. Les nombreuses verrières sont partout éventrées, les pare-brise des voitures en morceaux, des toitures transpercées. Le championnat de France d’aviron, dont la programmation concomitante explique la pénurie de chambres hôtelières, est annulé à cause des dégâts de la nuit. Environ quatre cents embarcations laissées dehors auraient été endommagées. Vous n’avez jamais vu d’aussi près les effets du dérèglement climatique. Dans ce chaos, la journée de cheerleading a bien lieu et l’équipe arrive quatrième sur huit dans sa catégorie. Elle ne se place donc pas sur le podium mais ce score reste honorable pour une équipe débutante et repêchée aux sélections. Tu verses tes habituelles larmes. Trop d’émotions pour cette journée.
Quelques jours plus tard, tu tombes par hasard en librairie sur Le grand art Journal d’une actrice, un roman d’Alexandra David-Neel, que tu achètes et dévores illico. Parce que non seulement elle était exploratrice, mais tu découvres qu’elle était comédienne, écrivaine et bien d’autres choses encore, comme le décrit la page wikipedia qui la concerne. Une femme qui s’est dépassée toute sa vie et ne s’interdisait aucun domaine.
Quand en découvrant un sport, on a la confirmation de l’immensité des capacités humaines et de l’excitation que procure leur exploration en soi.
Ce récit a également été partagé sur egaligone.org, avec quelques photos 🙂
Mais vous êtes féministe ma parole !, te dit-elle avec un grand sourire mi-poli mi-crispé.
Flûte ! Tu aurais dû anticiper. Prendre rendez-vous, au lieu de démarrer cette discussion sans prévenir devant le portail.
Cela fait des mois que ta fille apprend à lire à l’aide d’un grand classique intitulé Dans la cour de l’école. Il est effectivement intéressant, comme le défend Papa Positive. S’il était père d’une petite fille et pas d’un petit garçon, tu te demandes s’il se contenterait de relever dans son introduction On excusera l’approche genrée avant d’en vanter les autres mérites, et même de l’annoncer comme génial.
Toi tu as trois filles et son contenu te désole.
Ses personnages sont très familiers : la maîtresse, les filles, les garçons. Séparation des sexes bien établie, au cas où les enfants n’auraient toujours pas saisi dans quelle catégorie les adultes les affectent depuis leur naissance, soit depuis environ… six ans ! Couleurs, cartables et fournitures scolaires, activités sportives, placements en classe, répartition de l’espace dans la cour, toilettes, vêtements, jouets, grammaire, danses aux fêtes de l’école avec des tenues spécial filles et d’autres spécial garçons, tout y passe. Si les enfants avaient l’idée saugrenue de se sentir enfant ou élève avant d’entrer dans la catégorie fille ou la catégorie garçon, les adultes se chargeraient de les pousser dans leur case genrée bien étiquetée, en refermant vigoureusement la porte, pour éviter l’échappée belle.
Donc, dans la version en noir et blanc mise à disposition par l’enseignante, il y a les billes noires, pleines, qui sont les garçons. Et puis il y a les billes blanches, les filles. De fait celles-ci paraissent vides, puisque cerclées de noir, avec fond blanc comme le reste de l’image. Pas très heureux pour les filles, d’être considérées comme des coquilles vides, relativement aux garçons. Ça démarre plutôt mal. Séparation et hiérarchisation. On y est. En plein dans la hiérarchie de la différence décrite par l’anthropologue Françoise Héritier. Une recherche sur internet te conduit à des versions en couleur de l’album (et au gros succès de l’album dont une édition affiche plus de 80000 exemplaires vendus en plus de 20 ans…) : on a sans surprise du rose et du bleu.
Retour à notre album noir et blanc. Sur une planche, une bille noire est seule parmi des blanches. La légende indique au garçon qu’il s’est égaré et trompé de place. La maîtresse lui commande de réintégrer son groupe, celui des garçons. Qu’un garçon se mélange à des filles est donc présenté comme une erreur de sa part… C’est l’adulte qui le suggère, et plutôt clairement, sans équivalent pour une fille qui s’aventurerait chez les garçons. Effets possibles : stigmatisation du garçon qui ferait un tel faux pas, par extension infériorisation des figures féminines voire du féminin. Quelques années plus tard, tu écouteras un homme travaillant en crèche témoigner du regard méprisant des autres hommes sur son métier. Une voie d’égarement pour un homme. Car il est bien indiqué à la bille noire le droit chemin à suivre : le petit garçon doit socialiser dans sa catégorie de sexe. Peut-être même que son jeune lecteur interprètera l’image en infériorisant ou rejetant le groupe des filles. Et qu’il sera légitimé dans son rejet, sait-on jamais. Dans l’album, nulle injonction de cet ordre dans la situation inverse.
L’enseignante t’écoute argumenter. Puis elle te précise dans la perspective de te rassurer que ce livre esttrès bien: il est recommandé par l’Education Nationale (certes, il y a par exemple un livret pédagogique en ligne pour une exploitation en maternelle). Personnellement, tu ne vois pas clairement le gage de non sexisme, étant donné le nombre de manuels scolaires très inégalitaires qui sont passés entre les mains de tes enfants. Tu le lui dis. Et puis l’école est supposée former à l’esprit critique, non ? C’est à ce moment-là qu’elle conclut à ton positionnement féministe, qui lui semble étonnant, ou inadapté, voire extrémiste. Alors, avec sans doute un brin d’impertinence, mais sur un ton courtois, tu lui réponds : Mais bien sûr que je suis féministe, puisque le féminisme, c’est l’action en faveur de l’égalité des sexes. Et je suis sûre que vous aussi, vous l’êtes, et c’est même une de vos missions éducatives, puisque dans les textes de l’Education Nationale, l’école œuvre en faveur de l’égalité des sexes. C’est un principe constitutionnel d’ailleurs, donc il ne devrait pas être inquiétant, au contraire. Les listes d’ouvrages recommandés datent un peu, et ce critère n’a pas encore été intégré, voilà tout.
Tu apprécies beaucoup cette enseignante, tu sais qu’elle est très compétente. C’est même pour cette raison que tu t’es permis de lui livrer tes réflexions. Elle en fera quelque chose, tu en es convaincue.
Tout de même, dans le cadre de l’école républicaine mixte, c’est assez étonnant de véhiculer des discours symboliques favorables à la séparation des sexes (et à la hiérarchisation, ce qui peut nous faire faire un détour par les règles de grammaire inégalitaires toujours en vigueur). On pourrait te rétorquer que cet album est une occasion de parler mixité des sexes. Sauf que les exploitations pédagogiques présentes sur internet ne vont pas dans ce sens. Le message, dans ce petit album a priori inoffensif, en plus de s’adresser ouvertement à un lecteur (« parfois je suis tout seul »), prône une socialisation masculine et non réellement mixte. Or, elle est le terreau de la reproduction d’une culture de la domination des femmes par les hommes. Armée, police, pompiers, BTP, lycées ou milieux professionnels à dominante masculine, sport de haut niveau, classe politique, etc. On sait très bien que dans une société inégalitaire, l’entre soi des personnes dominantes – ici, les garçons socialisés dans la fraternité des Boys’clubs – nourrit la domination du groupe des personnes dominées – ici les filles. On pourrait utiliser le critère de la couleur de peau, et on verrait très bien la ségrégation, donc le racisme.
On pourrait bien te rétorquer Mais ce n’est qu’un album pour enfants ! Vous croyez ? Un petit album de rien du tout ingurgité appris remâché récité régurgité lu tous les jours pendant des mois. Pas vraiment une broutille à l’échelle du cerveau d’une gamine de six ans.
Depuis que tes yeux sont ouverts sur la reproduction des inégalités, tu voudrais que tout le monde voie ce que tu vois. Depuis que tu as des enfants, tu rêverais qu’entre ta génération et la leur, il n’y ait plus rien à remarquer sur le sujet.
« Non, ce n’est pas le moment pour un tel projet, tu feras ça quand tu seras vieille ! ». La réponse de ton label aurait pu te clouer le bec, mais non. Heureusement, car ce moment que tu vis, tu le dois à ton obstination. Et à ton immense besoin de définir toi-même ce que tu veux faire de ta vie.
Le concert touche presque à sa fin. Sur la scène de l’auditorium de Lyon, tu es là, vibrante et émue, assumée, entourée de tes huit comparses. Le public exulte. Il est bouleversé par la folie du spectacle, par l’audace de ce que vous avez proposé. S’il est habitué des lieux, il n’a sûrement jamais vu ça dans une représentation classique. Grâce à un léger éclairage qui te permet de communier avec ton public, vous voyez dans le somptueux hémicycle des zones entières se lever tour à tour. Les applaudissements n’en finissent pas. Huit violoncellistes, trois hommes et cinq femmes, ont finalement accepté de te suivre dans l’aventure risquée que tu leur proposais. Tout acoustique. Des reprises. Une mise en scène et des éclairages poétiques et ésotériques. Un usage éclectique et insolite de l’unique instrument, présent en huit exemplaires. Un accompagnement sur scène qui éloigne les instrumentistes de leur chaise, transformant leur jeu, convoquant leurs corps. Tout en émettant des sons de toutes sortes avec leur formidable violoncelle, ils et elles se déplacent, te suivent, se lèvent, dansent, se fondent dans les mises en scène de ce spectacle vivant.
Tu en avais rêvé. Tu l’as fait. Exaucer soi-même son vœu, malgré les obstacles et les découragements, quel pouvoir merveilleux. Finir par exercer la souveraineté de soi. Quel doux sentiment procure l’accomplissement de ses désirs profonds. Au départ, tu n’étais pas très bien partie dans l’exercice de la liberté. Tu as plutôt excellé dans celui de l’obéissance. Avec un père militaire, tu étais à bonne école. Chanter ? Tu n’y penses pas ! Ce n’est pas un métier ! Un bout de vie de renoncement plus tard, tu as fini par te décider… donc par t’opposer. L’âge adulte avait un peu tardé à arriver. Il implique quelquefois de prendre des risques. Qui a envie de déplaire à qui nous aime, malgré sa distillation de conseils et de maximes, de découragements et d’empêchements, ne voulant évidemment que notre bien ? Or la liberté, c’est de parvenir à faire ce que l’on a décidé. Quand tu te l’es enfin formulé, face au besoin irrépressible qui t’animait, tu as multiplié les démarches, trouvé enfin un label – il en suffit d’un -, été embarquée dans un tourbillon de tournées à succès, de scènes enflammées, en parallèle d’une première maternité. Et l’épuisement t’a rattrapée, t’acculant à tout stopper.
Et puis, peu à peu, ton arrêt total n’a plus été si total. Il est devenu une pause quand tu t’es rendu compte que chanter t’était vital. Tu redémarres alors, mais à tes conditions, et tu évoques ce projet qui te trottes en tête depuis un moment. Cette réponse-censure de ton label te rappelle bigrement quelque chose, arborant son air de famille avec la censure paternelle. Alors, puisqu’il a lui-même annoncé sa condition de l’exercice de ta liberté, tu lui réponds « S’il faut être vieille pour être libre, alors, considère que je suis vieille ». Bille en tête, avec ou sans lui, tu mèneras ton projet à bien.
Pendant que tu fais ce récit à ton public lyonnais, salle éclairée comme lors d’un final alors que tu clôtureras ton incroyable et émouvant spectacle avec plusieurs chansons de ton répertoire, tu fais émerger une question chez moi, qui étais debout dans la salle : en tant que femmes, ne devrions-nous pas revendiquer, comme une aspiration profonde, d’être bientôt, ou assez, ou déjà vieilles ? Cette société du jeunisme veut nous faire connaître l’âge « mûr », puis la vieillesse, le plus tard possible, nous faisant passer des complexes du poids ou du poil à ceux des rides, nous mettant en tête qu’il faudrait pleurer la triste fin annoncée de la sexualisation de nos corps, nous exhortant à vivre d’abord dans le service, le soin et le regard des autres. Elle nous aspire, au moins jusqu’à la ménopause, dans des rôles sociaux cumulés et épuisants, souvent peu questionnés, puis espère sans doute que nos états dépressifs qui pourraient en découler viendront enrichir les marchés lucratifs de la santé mentale et de la chirurgie esthétique. Pourtant, prendre de l’âge est une avancée possible vers la liberté et vers la prise de décisions personnelles et émancipatrices. Cette période d’éventuelle libération de temps, de cheveux souvent blancs et de peau assurément ridée, fait peur à qui veut nous faire douter de nos rêves ou de nos capacités, ou nous mettre sous sa coupe, comme le décrit Mona Chollet dans Sorcières, la puissance invaincue des femmes (La Découverte, 2018). Le double enjeu est d’apprendre tôt à suivre nos voix intimes et donc à faire nos propres choix, tout en n’appréhendant plus le temps qui passe.
A nos jeunes sœurs trop souvent infantilisées, comme à nos vieilles sœurs qui font encore peur, j’ai envie de dire, en référence à l’insolence posée et inspirante d’Imany, « Nous sommes toutes vieilles, nous sommes toutes libres ».
Tu n’as jamais vraiment aimé qu’on t’offre des fleurs… Pourtant, il y a vingt-cinq ans, pratiquement jour pour jour, tu as feint le contraire. Car l’intention était manifestement belle. Sur le moment, tu as craint de froisser leur expéditeur.
Ecouter “2021 – De l’amour ou du désamour des fleurs coupées” en audio
Il t’a dit « ça t’a fait plaisir, les fleurs ? ». Tu as répondu maladroitement, après une hésitation mal dissimulée, « ça fait toujours plaisir de recevoir des fleurs… ». Vous appreniez à vous connaître. Le chapitre des fleurs n’était pas encore ouvert. Et ta réponse fut tout sauf sincère. Mensonge flagrant, il en a pris bonne note. Pendant les vingt-cinq années qui ont suivi, il ne t’a plus jamais fait livrer de fleurs. Le présent qui te plait à toi, c’est du temps. Un moment de qualité. De l’échange, de l’écoute, une sortie, un instant partagé. Ou un bon livre, des graines à semer, du thé… ou du chocolat à partager. Rien à voir avec des fleurs coupées.
« Maman, pourquoi tu n’aimes pas les fleurs ? », t’a demandé ta benjamine. Sa question t’a fendu le coeur… Bien sûr que tu aimes les fleurs ! Celles qui vivent au bord du chemin ou dans un jardin, celles dont personne n’a eu l’idée de les couper au raz du pied… Ce sont les fleurs cultivées, coupées, vendues, empaquetées, enrubannées puis délivrées que tu ne sais pas apprécier.
Première raison. Une fleur coupée, une fois offerte, amorce sa dégringolade. Elle entreprend de se faner, ses pétales échouant un à un sur la table… jusqu’à décéder, tranquillement, au milieu du salon impuissant. Passage après passage, lorsque tu traverses la pièce où elle trône de moins en moins fièrement, la fleur sombre dans la flétrissure, le vieillissement prématuré, l’agonie organisée. Elle te témoigne de sa fin programmée, son malheur se traduisant par un renversement des senteurs. Au départ l’odeur est agréable ou entêtante. Puis l’eau devient malodorante, croupie prématurément en cas d’oubli. Car c’est bien à la personne destinataire que semble incomber le soin quotidien du bouquet, le vain prolongement de son existence amputée.
Voici la deuxième raison de ton désamour instinctif pour le bouquet fleuri. Car enfin, la personne qui les offre tient le beau rôle ! Elle s’arrête souvent au lever de rideau : les humer, les choisir dans le magasin tant qu’elles sont fortes et belles, vivantes et odorantes, pleines d’ardeur, fraîches du jour. Les voici alors dans un vase de taille adaptée que tu dois trouver… après avoir remercié pour l’évidente attention. Puis vient l’enchaînement au bouquet. La qualité du soin apporté garantira sa durée, ralentira sa flétrissure. Chaque jour, tu devras veiller à l’alléger, l’équilibrer, le réassembler, l’équeuter pour en allonger un peu la durée, lui offrir une eau fraiche renouvelée, bref, le soigner pendant son inéluctable dessèchement, son pourrissement orchestré par le geste chevaleresque. Puis, le jour de la fin, tu devras en finir avec le reste de l’assemblage originel. Mise au compost, puis lavage et rangement du vase abandonné. Le cadeau consommable, éphémère et légèrement empoisonné – quelquefois un sachet de je-ne-sais-quoi est joint pour prolonger la survie florale – te propulse en activité de soins intensifs et palliatifs. Tenez madame, une semaine de soin complémentaire dans votre emploi du temps, ça vous dit ? Et gare à l’oubli, car la culpabilité est une bonne amie… Ces fleurs étaient si belles et vous n’en avez pas pris soin ? Le geste était si plein d’amour, si gentil, si romantique… C’est si charmant d’offrir des fleurs à une femme.
Et voici la troisième raison qui pointe son nez, l’attention genrée. L’évidence de son inhabituelle réciprocité. A moins que tu ne te décides à offrir des fleurs coupées aux hommes de ton entourage… Ce serait une belle idée d’étudier l’effet d’une telle initiative… Tu te promets d’essayer, pour l’égalité, mais aussi pour tester la façon dont les fleurs coupées peuvent s’offrir dans la joie du cadeau non empoisonné.
Car émerge enfin la quatrième raison qui de fait est sans doute la principale. Au fond, lorsqu’il s’agit d’un bouquet de branches de lilas du jardin, leur dégringolade annoncée ne te procure aucune gêne… Et puis ça sent si bon, le lilas… D’ailleurs tu le crée de temps à autre ce bouquet, pour agrémenter la maison un jour de taille. Non, ce qui te pique par-dessus tout, ce sont les effets dévastateurs du marché de la fleur. Ainsi que sa méconnaissance générale. La jeune entreprise à mission Fleurs d’ici (créée en 2017), qui réunit des « horticulteurs et fleuristes de proximité, afin de proposer des fleurs garanties 100% locales, de saison et en circuit court », indique qu’en France, 9 fleurs sur 10 sont importées en avion. Grâce à la revue lyonnaise Silence du mois d’octobre 2021, qui a consacré un dossier passionnant au marché des fleurs, tu as découvert des pratiques et des données qui t’ont révoltée. La production française est insuffisante pour répondre à la demande locale. Il faudrait donc en soutenir une version respectueuse des saisons et de la biodiversité… Mais les terres sont hors de prix et les aides financières ne sont apportées qu’à des projets de production agricole et non horticole… Et si on s’intéressait massivement à ce secteur pour mieux l’organiser, dans une démarche de Slow Flower, comme le souhaite le réseau Fleurs d’ici ?
La prochaine fois que tu offriras des fleurs à une personne qui les aime, homme ou femme, et si ton jardin n’en est pas assez pourvu, tu choisiras donc un ou une fleuriste qui vend des fleurs locales et de saison. Ne t’inquiète pas, tu trouveras, puisqu’il y a un annuaire créé pour ça, par le collectif de la fleur française. Et puis tu pourrais plus souvent rassembler les tailles du jardin en bouquet.
Reprenons.
Qui te connaît bien ne t’offre pas de fleurs coupées.
En tout cas pas celles achetées sans considération ni de leur provenance, ni des conditions de leurs production et conservation…
En revanche, les branches fleuries extraites exprès, ou encore de jolies chutes de tailles ou de tonte manuelle de fleurs de prairie, bonne idée.
Une plante en pot qui va durer voire être plantée, bonne idée aussi.
Des fleurs livrées par le réseau Fleurs d’ici… pourquoi pas ?
Finalement, dans certaines conditions, tu aimes certains bouquets, voire certaines fleurs coupées.
Tu te promets d’abord de bien choisir celles que tu pourrais offrir.
Et puis de fleurir davantage le jardin et d’y piocher de temps à autre, pour qu’il déborde à l’intérieur.
Dans ces conditions-là, d’apprécier l’éphémère et le soin nécessaire.
Après tout, des bouquets, tu en peins quelquefois, avec soin également.
Seulement tu t’imagines, à travers ce soin-là, quelque chose de bien différent…
Car alors, tu penses avoir une prise sur le temps.
« Je pense que Monsieur T., qui a pris suffisamment connaissance du dossier pour en faire la présentation, pourra lui-même répondre à votre question. » C’était plus fort que toi, les mots sont sortis tout seuls. Tu viens de te venger et c’est jouissif.
Ecouter “1995 – Être ou ne pas être à sa place” en audio
Ton responsable se trouve si démuni, ne sachant que répondre au regard que le consultant-auditeur vient de déplacer de toi à lui, à cause de toi. Toutes les personnes présentes savent très bien, le consultant le premier, qu’il n’est pas en mesure de répondre. Mais c’est lui qui vient de changer les règles du jeu. En prenant soudainement en main la présentation des avancées de ton projet. Des jours que tu consolidais ces résultats. La veille, il t’avait demandé de les lui commenter, pour se mettre au courant du dossier. Ce que tu avais fait, en toute naïveté. Informer son chef c’est normal. D’autant qu’il vient d’arriver. Et puis soudain, en entrant dans la salle, tes transparents à la main, tu le sens s’approcher de toi et te les dérober d’un geste leste, puis prendre place devant le vidéoprojecteur et reproduire tant bien que mal ce dont il se souvient de tes commentaires de la veille. Dépossédée de tes papiers autant que de ton rôle, tu prends place autour de la table. Quel culot ! Moutarde montée au nez impossible à cacher. Des mois que tu te charges personnellement et à chaque fois de ces présentations auprès de l’auditeur, c’est ton dossier quand-même ! Et lui, en place depuis à peine quelques semaines, qui te passe devant comme ça, sans se douter qu’après il y aurait des questions ? Il aurait simplement pu te demander la veille la possibilité de présenter le dossier, ou bien de partager la présentation… Mais non. Il te met devant le fait accompli, face à toute l’assemblée.
Tu lui avais pourtant déjà laissé entendre que tu utiliserais ta marge de manœuvre. Que tu résisterais aux tentatives de dévalorisation de ta place, de ton travail ou de toi-même. Lors de la première réunion à laquelle tu avais participé avec lui, il t’avait immédiatement demandé de prendre des notes. Une seule femme, jeune, au milieu d’hommes, tous plus âgés. Ta réponse avait été ferme et constructive : « tout le monde ici possède un bloc notes et un stylo, je ne vois pas pourquoi je serais plus apte que quiconque en la matière. » Et tu lui avais proposé d’inviter sa secrétaire à le seconder pour que tout le monde gagne du temps pour ce compte-rendu.
Tu as vingt-deux ans et lui au moins cinquante. Il a peur pour son poste mais pas toi. Ta mission a une fin et tu comptes bien trouver ailleurs. Espoir d’un endroit moins sexiste. Rien à perdre. Pourtant, au fond de toi, tu sens que ce que tu viens de faire est très petit. Tu viens de faire l’expérience de la mesquinerie.
« Mais enfin, c’est incroyable de faire une telle différence ! » Tu ne peux pas t’empêcher de commenter ce qui vient de se passer. Ton inconnu de voisin, dans la petite bousculade du repli commandé vers les gradins, en profite.
Ecouter “Poussez-vous, voilà les hommes !” en audio
C’est tellement invraisemblable. Ce sont des hommes, alors il faut se pousser, les laisser occuper toute la patinoire, leur laisser la voie libre, et s’écarter pour qu’ils ne blessent personne. Parce qu’ils pourraient blesser quelqu’un, eux, à cause de leur puissance, à cause de leur vitesse, à cause de leur performance. Mais attendez… on parle de celles qui font d’eux naturellement des hommes ou de celles qu’on leur permet de développer en demandant à tout le monde de se pousser ?
Le moment de vitesse en est à sa troisième étape. Il va crescendo apparemment. Et par catégorie. D’abord on appelle les enfants. C’est familial. D’ailleurs, les membres de la famille restent au bord ou leur donnent la main. Puis vient le temps des femmes, appelées à montrer de quoi elles sont capables. Elles, personne ne leur donne la main, mais tout le monde peut encore rester au bord de la piste. Parce qu’apparemment, elles ne risquent de blesser personne, elles. Certaines sont très rapides pourtant, mais qu’à cela ne tienne : elles ralentiront d’elles-mêmes en voyant le danger de collision s’approcher. Ensuite, et bien… les choses sérieuses peuvent commencer. L’annonce change littéralement de registre et de ton. Quelque chose comme « merci à toutes les personnes qui ne patinent pas de sortir de la piste et de rejoindre les gradins, le moment des hommes est arrivé » ! Apparemment, tout le monde n’attendait que ça. Car avant, c’était le temps de la gnognote.
« C’est normal madame, si les hommes devaient faire attention à blesser personne, ils pourraient pas aller à fond. Il vaut mieux que tout le monde sorte de la piste ! »
Ton tour arrive, présentation rapide. Prénom, métier dans l’Université. « Florence, maître de conférences en sciences physiques ». Tu ne sais comment interpréter le léger bruissement et les regards croisés qui suivent ta prise de parole dans la salle.
Ecouter “2018-Retour à soi” en audio
Tu penses : « Peut-être suis-je le seul enseignant-chercheur ? ». C’est en effet très rare que tu croises autant de personnels différents lors d’une formation. Vous exercez dans l’enseignement bien sûr, mais aussi dans la maintenance ou l’entretien des locaux, les services administratifs. Non… cela ne semble pas être la raison : un enseignant-chercheur en mécanique est également présent. Si vous n’êtes que des volontaires, c’est que le sujet vous intéresse. Il s’agit de questionner le genre et les stéréotypes dans la société, mais aussi dans l’Université, engagée dans une démarche de labellisation Egalité et Diversité. L’intervenante aborde le sujet grâce à plusieurs entrées, fait participer l’assemblée sur chaque thème, puis s’arrête sur le langage et sa portée symbolique. Un participant aborde le sujet de la féminisation ou de la masculinisation des fonctions et noms de métiers. Par exemple, si on parle peu des infirmiers, mais beaucoup des infirmières, peu d’hommes vont se projeter. Idem pour les sagefemmes. L’intervenante confirme l’intérêt de parler des soins infirmiers avec les deux genres grammaticaux pour aider les garçons autant que les filles à s’identifier et donc à se projeter. Elle rappelle en revanche que le mot sagefemme signifie la connaissance du corps des femmes, donc ne dit rien du sexe de la personne qui officie, même si le mot maïeuticien a été proposé pour les hommes. Tu te rends compte alors que tu n’as jamais questionné ton titre d’enseignant-chercheur ou de maître de conférences. Bien sûr, autour de toi des femmes revendiquent le féminin. Mais cela t’a toujours semblé anodin, un combat secondaire, apportant raillerie et discussions infécondes. Tu es arrivée là, c’est donc possible… Et puis l’appellation masculine te semble plus valorisante. D’ailleurs, certaines romancières tiennent à se faire appeler « écrivain », parce qu’ainsi elles se sentent mieux considérées… Tu commences pourtant ce matin à envisager les choses autrement. Ne pas être respectée parce que désignée femme dans son métier. L’être davantage quand le métier est exprimé au masculin. Se fondre ainsi dans le masculin valorisé. S’éloigner de soi pour se sentir quelqu’un. Participer ainsi, à son échelle, à l’invisibilisation, donc à l’infériorisation du féminin.
Quand vient à nouveau ton tour pour faire le bilan de la matinée, tu annonces que ta première action en sortant sera la modification de ta signature de courriel. Tu es « une maîtresse de conférence, enseignante-chercheuse » et fière d’être une femme. Un participant s’exclame alors, souriant : « Tout à l’heure, je n’ai pas osé vous interpeller, mais j’étais si étonné par la façon dont vous vous êtes présentée ! »
Gloria Steinem, dans son autobiographie Ma vie sur la route[1], raconte qu’une hôtesse de l’air, longtemps persuadée que le métier de pilote n’était pas fait pour les femmes, a changé d’avis après avoir compris la façon dont une société favorise la haine de soi chez les catégories discriminées. Elle savait dorénavant d’où venait son manque de confiance en elle et ne voulait pas transmettre cette haine de soi à ses enfants. L’expérience de Whitney Young, un militant des droits civiques, avait été un déclencheur pour elle, précise Gloria Steinem : il avait « avoué avoir eu un mouvement de recul involontaire le jour où il était monté à bord d’un avion en Afrique en découvrant que le pilote était noir. Il avait alors pris conscience de la haine de soi qu’il avait intégrée simplement en grandissant dans une culture raciste ».
Comparer les effets du sexisme et ceux du racisme sur les personnes discriminées a tout son intérêt.
[1] Gloria Steinem, Ma vie sur la route. Mémoires d’une icône féministe, HarperCollins, mars 2019
Un professeur avait décidé de vous placer côte à côte. Pour te missionner. Tu devais veiller à ce qu’elle prenne bien le cours. L’aider à résorber ou limiter son retard, surtout en français, à l’écrit. Peut-être dans d’autres matières, tu ne te souviens plus.
Ecouter “1984 – Dans la voiture” en audio
A l’époque, le redoublement semblait une issue pour les élèves qui n’entraient pas dans le moule. Il arrivait de compter trois ou quatre ans d’écart entre élèves dans le même niveau de classe. Naissance en novembre pour toi, avec deux ans passés en maternelle au lieu de trois. D’office un à deux ans d’écart avec une bonne partie de la classe. Tu avais donc douze ans, elle quinze, peut-être même seize. Toi, tu étais une petite collégienne encore spontanée qui faisait assez docilement ses devoirs. Elle, c’était une adulte qui espérait manger tous les soirs.
Elle avait de belles boucles blondes et courtes, qui retombaient sur son visage rieur. Des yeux bleu clair qu’elle maquillait de fard à paupières, toujours le même. Un joli nez retroussé et une peau de pêche, blanche, qui avait l’air très douce. Elle portait des jeans moulants qui mettaient en valeur son corps de femme déjà formé et des chemises qui retombaient nonchalamment dessus. Son odeur était fleurie et entêtante. Elle venait chaque jour parfumée et portait une chaîne autour du cou. Elle était discrète. Souriante souvent. Seule aussi. Tu ne lui connaissais personne au collège qui s’était lié d’amitié avec elle. Elle semblait à part. Manquait souvent. Ne se mêlait à rien. Aucune de vos conversations ne lui paraissait avoir d’intérêt, mais elle ne jugeait pas, ne commentait pas. Elle était absente. Peut-être même transparente. Pourtant, cette proximité qu’avait organisée ce professeur entre elle et toi l’avait progressivement amenée à se confier. Et tu avais su. La mère partie depuis longtemps. Le père ivre régulièrement. Le loyer à payer dans le HLM derrière le lycée, en face de ton cours de danse, là où il ne fallait pas trainer le jour tombé. Et puis les hommes mariés. Des nouveaux ou des réguliers. Les rendez-vous dans leur voiture, n’importe quand. Le jour, la nuit. Les billets empochés pour payer le loyer. Pour acheter à manger. Le père qui s’en doutait ou qui savait.
La honte te submerge. En plus de ton acné, de la preuve terrifiante de ton passage au salon de coiffure et de ton humiliation publique que vient d’orchestrer Monsieur S., l’intervention de ton camarade devant toute la classe amplifie ton souhait le plus cher : disparaître. Petite souris tu voudrais être. Le garçon se rassoit, probablement autant gêné que toi.
Ecouter “1985-La leçon d’esthétique” en audio
C’était un jour de rentrée.
Du haut de tes treize ans, pleine d’allant et d’envie de changement, tu avais eu cette idée folle, avant le retour à l’école. Tu les voulais plus ondulés, tes cheveux déjà souples mais pas assez. Résultat, après avoir choisi un modèle sur un magazine, puis passé un temps infini sous un casque brûlant, tu les as eus frisotés asséchés. La jeune débutante avait dû t’oublier. Impossible de dire un mot en réglant la note. Impossible de ne pas penser à cet argent, obtenu de tes parents, que tu avais si mal dépensé. Pleurs inconsolables en rentrant et plusieurs jours suivants.
Il a bien fallu affronter le retour au collège. Ton professeur de français n’avait de cesse de vous donner des leçons de présentation et autres cours de communication. Il répétait ce mot sans relâche, sans que tu ne saches jamais de quoi il parlait. D’après lui, vous entriez dans son ère. Le monde du vieux Monsieur S. aux cheveux blancs, petit et l’œil fouineur, n’était pas que communication : il était aussi organisation. Militaire l’organisation. Le général a quatre galons, disait-il, donc vous soulignerez les grands titres avec quatre traits, en noir. Ensuite, puisque le colonel a trois galons, les sous-titres auront droit à trois traits, en rouge, et ainsi de suite. Je ramasse les cahiers et tout doit être organisé comme je vous l’ai demandé, en respectant alinéas, couleurs et nombre de traits. Son mot d’ordre était l’ordre, mais son ordre du monde ne l’empêchait pas de tenter sa chance auprès de ta mère, lors des rencontres parents-profs. Dithyrambique sur ses tenues ou sa beauté en même temps que sur ton travail, il avançait sans retenue ses complimenteuses trouvailles. Toi, présente mais visiblement transparente, morte de honte et tremblante.
Quand toute la classe s’est assise ce jour-là, Monsieur S. annonce que vous commencerez le cours de français par une réflexion sur la beauté. Il te regarde bien en face et te demande de venir au tableau. Tu es si mal que ton corps se détache de toi. Tes jambes te portent. Il pose alors cette question à la classe : quelle est la différence entre le laid et le beau ? Grand silence. Il répète. Nouveau grand silence. Une partie des élèves baisse la tête. Tu ne rencontres aucun regard. Peut-être baisses-tu la tête toi aussi. Le beau, dit-il alors en te pointant, c’est le contraire du laid. Malaise dans la classe. A ce moment-là, un de tes camarades, avec lequel tu t’entends bien et que tu voies souvent avec tes amies en dehors de la classe, demande la parole en levant la main. Oui, vous souhaitez ajouter quelque chose ? Il se lève alors : Monsieur, moi, je la trouve très belle. Monsieur S. surpris, te regarde et t’enjoint de retourner à ta place. Le vrai cours peut commencer.
De ce cours de français, ces souvenirs-là sont pourtant tout ce qu’il te restera.
Ecouter “Années 80 – La branche de sapin” en audio
Ta joue te brûle. Par réflexe, tu la couvres de ta main. Peut-être la protègera-t-elle d’une prochaine volée. La branche de sapin est encore bien tenue par la main du garçon. Elle semble la prolonger, l’augmenter, figurant sans doute une sorte de barrière entre lui et toi. Oh non, il ne t’a pas touchée, pas frappée directement : en descendant du car scolaire, il a arraché une branche au premier arbre aperçu et l’a promptement utilisée pour te menacer. T’humilier. Se venger. Te fouetter le visage. Te faire comprendre que tu ne vas pas t’en sortir comme ça. Vous n’êtes que deux à sortir à ton arrêt et personne dans la rue n’assiste à la scène. Tu le croises tous les jours et as pu suivre la transformation de son attention pour toi en haine de toi.
Cela fait des semaines qu’il te tourne autour, sollicitant ton intérêt de toutes les manières à disposition d’un enfant animé d’un désir, d’une volonté, d’un but. Te suivant, te souriant, osant te demander ouvertement de sortir avec lui, te complimentant sur ci ou ça. Persévérant. N’écoutant pas tes réponses, tes refus, tes non, ton malaise, tes tentatives d’échapper à sa présence, à son entêtement. Passant alors aux propos insistants. Menaçants. Puis tu perçois la haine dans ses yeux, peut-être la blessure aussi, lorsqu’un matin à l’arrêt de bus, tu trouves une réplique pour mettre une fin définitive à ses tentatives répétées. Ce jour-là, il reçoit Tu es un plouc. Sans doute ressent-il la force de ton mépris dans cette riposte enfantine. Tu ne saisis pas d’ailleurs ce qu’elle veut dire. Tu as toi aussi une dizaine d’années. Tu as répété ce que des adultes disent parfois.
« Dis-moi donc bergère, mais que s’est-il passé ? Ce n’est pas du tout ce que mon père et mon grand-père m’ont raconté. Ils m’ont dit que les filles n’attendaient plus que moi Qu’avant de fonder une famille je devais m’amuser comme un roi (…) Dis-moi dis-moi bergère, pour qui te prends-tu donc ? (…) Vraiment tu exagères, de tant me résister, Tu devrais être fière que je t’ai remarquée. »
Anne Sylvestre, Bergère, 1975
A quel moment, dans le mécanisme de défense d’une personne qui se sent agressée, bascule-t-elle dans un comportement qui porte atteinte, qui blesse l’autre, alors qu’elle ne souhaite que se préserver ? Par quels mécanismes se tient-elle pour responsable de ce qu’elle inflige à l’ego fragile de son agresseur en le repoussant fermement ?
Tenant toujours ta joue, tu évites son regard, fixant le tien sur l’instrument improvisé, te demandant s’il va à nouveau lever la branche sur toi. Echangez-vous quelques mots alors ? Aucun autre souvenir que le bruit de la branche qui craque puis qui claque. Tu sors enfin de ta tétanie. Tes jambes te conduisent maintenant au pas de course jusqu’à chez toi. Tu ouvres la porte d’un geste précipité tandis qu’un hurlement libérateur sort de ta bouche : « Maman !!!! »
Aucune hésitation chez ta mère. Elle sonne chez lui. Tu es là, à ses côtés, piteuse et sonnée, un peu honteuse d’avoir rapporté, mais reconnaissante aussi d’être écoutée. Justice peut être rendue. Tu aimerais quand même te faire petite souris. Que se passera-t-il, quand la porte s’ouvrira ? Tu trembles. L’échange entre les deux mères a lieu. Le garçon est appelé d’urgence à comparaître. A raconter sa version. Ça sent la sanction, peut-être les coups, en tous cas, le mauvais quart d’heure qu’il passera. Ça y est, il est là, à nouveau devant toi. Doit te présenter ses excuses. Promettre de ne jamais plus t’embêter. Il baisse la tête. Rouge de honte. Semble avoir fait une très grosse bêtise. Même si ta joue à toi te fait mal, tu as aussi mal pour lui. Tu sens son humiliation grandie.
Tu imagines que c’est difficile déjà, d’oser faire le premier pas. On dit aux garçons que c’est à eux de commencer. Puis bien sûr certaines filles ne sont pas intéressées. Les rejettent. Mais certains n’apprécient pas vraiment qu’on leur dise non. Ça les met en colère. Un terrible désir de vengeance s’empare d’eux. Car leur ego en a pris un coup. C’est toute une affaire d’apprendre à gérer ses frustrations, quand on a le désir autorisé. Favorisé. Conquérant.
Tu viens donc de vivre une de tes premières expériences du non consentement. De ses conséquences scabreuses. Et de la culpabilité qui peut en découler.
Mais aussi de ton droit de personne à non consentir. Reconnu par ta mère.
« Créons les conditions pour que l’enfant ait confiance en nous. En cas d’agression ou de harcèlement, et quel que soit l’agresseur, l’enfant doit avoir la certitude que sa mère l’écoutera, la croira, qu’elle la prendra dans ses bras, très longtemps. Et qu’elle va s’occuper de tout. »