J’ai annoncé au moins dix arguments dans un billet précédent pour que soit mis en place un congé paternité / deuxième parent non seulement long, mais avec une part obligatoire SIGNIFICATIVE. Après les quatre premiers, voici les deux suivants, qui concernent, pour les personnes salariées, la relation parent-employeur.
5. Rééquilibrer le pouvoir de négociation des parents auprès des employeurs
La mère salariée, elle, ne choisit pas de s’absenter ou non du travail. Son droit est d’office exercé. Le congé maternité est en effet envisagé non seulement comme un droit (il ne peut être refusé par l’employeur, est protégé quant aux conditions de retour, est rémunéré), mais aussi comme un devoir de mère. Au départ, il s’agit plutôt d’écouter Dame Nature. Une fois la grossesse désirée bien avancée, elle mettra au monde l’enfant. Ensuite, Dame Culture entre en scène. Vient ce qui a été défini socialement pour les protéger, elle et l’enfant, mais aussi pour lui confier, à elle en particulier, le premier rôle dans le scénario d’accueil du bébé et de ses conséquences. Construction culturelle à discuter. Elle déclarera sa grossesse à son employeur (malgré ses craintes de représailles, ou son éventuel sentiment de culpabilité ou de déloyauté). Elle exercera son droit à congé, certes protecteur, mais aux conséquences sociales spécifiques, en dépit de la bienveillance de ses employeur et collègues. Au moins parce que le contexte social, dans lequel chaque parent se situe (influence des médias, des marques, de l’entourage, de l’école, etc.), véhicule des représentations des rôles différenciées sur les hommes et les femmes. Il ne peut produire de comparables effets. A moins que ces représentations bougent.
Certes, l’exercice d’une liberté, même dans un cadre contraint, apparaît préférable à l’exercice d’un devoir. C’est sans doute pour en faire goûter une once aux femmes qu’une option a été instaurée il y a quelques années. Elles peuvent désormais, si leur santé le permet, différer le début de leur congé maternité, de sorte que le congé post-natal atteigne treize semaines au lieu de dix. Appréciable, puisque les grossesses ne se ressemblent pas. Cependant, leur congé et sa durée minimale conservent, contrairement à celui des hommes, leur caractère obligatoire. Elles sont en effet non employables pendant six semaines après la naissance, non indemnisées si elles ne prennent pas un minimum de huit semaines en tant que salariées, de seize semaines si elles sont demandeuses d’emploi.[1] Une protection, certes, mais aussi une inégalité certaine de situation face à l’employeur, aux autres enfants, au père et à l’enfant concerné·e.
Le revenu du travail des femmes en couple ne serait plus envisagé comme un « salaire d’appoint ».
Ainsi, si Ikea est progressiste dans sa mesure, l’égalité de situation pour les deux parents n’est pas tout à fait au programme : les pères peuvent prendre leur nouveau congé de cinq semaines « en une ou plusieurs fois et quand ils le souhaitent, avant les deux ans de l’enfant », nous précise le Huffpost. Leur pouvoir de négociation reste donc supérieur à celui des mères auprès de l’employeur. Pour un même enfant à naître, la mère semble imposer ses contraintes au travail, le père s’adapter à celles du sien. Même cause, conséquences bien différentes.
Par ailleurs, si un ambitieux congé paternité était en vigueur, les femmes seraient sans doute moins ciblées par les employeurs comme LE groupe auquel imposer des temps partiels ou d’autres formes de précarité. Puisque chaque naissance rendrait possible et probable un retrait du travail, puis la réduction par quiconque de son temps de travail et de son revenu, le revenu du travail des femmes en couple ne serait plus envisagé comme un « salaire d’appoint ».
6. Prévenir la possibilité pour un employeur d’empêcher la prise du congé
En pratique, le caractère optionnel du droit actuel à congé (ainsi que son faible niveau de rémunération) conduit seulement 70% des jeunes pères à l’exercer parmi les salariés du privé (90% dans le public et environ un tiers des indépendants en 2012)[i].
Rendre obligatoire le congé paternité favorisera l’égalité entre les pères.
Les pères ont le choix non seulement de la requête du congé, mais aussi du moment de sa prise, jusqu’aux quatre mois de l’enfant, ainsi que de sa durée dans l’enveloppe des onze jours accordés de droit. Ayant la possibilité de ne pas l’activer, dans les faits, ils risquent de subir pressions et influences sur ces trois éléments. La peur d’un regard critique de la part de l’employeur ou des collègues peut empêcher la demande de congé. La prise partielle, ou la négociation, avec son employeur, du moment le plus adapté aux contraintes de l’activité, constituent alors des moyens d’échapper à, ou de minimiser, ce jugement réprobateur. L’Italie et le Portugal, constatant que les travailleurs précaires ne le prenaient pas, ont décidé d’en rendre une partie obligatoire.[2] En Italie, quatre jours sont obligatoires et un facultatif depuis 2018. Au Portugal, depuis 2009 le père bénéficie de dix jours obligatoires et de dix jours facultatifs intégralement rémunérés ainsi que de la possibilité de profiter du cinquième mois du congé maternité, si la mère reprend le travail à l’issue des quatre mois, ainsi que du transfert des deux heures par jour de congé d’allaitement[ii].
Rendre obligatoire le congé paternité favorisera l’égalité entre les pères. En effet, ils n’auront pas à négocier avec leur employeur puisque ce sera la loi. Comme les mères actuellement, ils créeront, en devenant parents, des contraintes pour leur employeur.
Ce caractère obligatoire n’approchera une situation égalitaire pour les deux parents que si la durée du congé des pères est proche de celle des mères. Alors seulement, les employeurs considèreront quiconque avec ce même regard compréhensif, sans doute résigné à court terme, mais juste. Ils se diront : « Des personnes, quel que soit leur sexe, peuvent un jour devenir parents ; cet événement va créer, légalement, une rupture professionnelle qui nécessitera une organisation en conséquence au travail. »
[1] Un expert de la sécurité sociale précise sur le site ameli.fr : « Vous ne pouvez pas prendre moins de 8 semaines (consécutives) de congé maternité. En dessous de ce seuil, le congé n’est plus indemnisable. Vous devez obligatoirement prendre 6 semaines en postnatal car la loi interdit à un employeur d’employer une femme pendant ces 6 semaines. » – Source : https://forum-assures.ameli.fr/questions/1432935-conge-maternite-reduit
[2] Informations issues du rapport « Voies de réforme des congés parentaux dans une stratégie globale d’accueil de la petite enfance – Rapport adopté par le Conseil de la famille le 13 février 2019 », qui donne un aperçu aussi de ce qui est en place ailleurs, disponible sur https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/194000205.pdf
[i] Source : https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/etudes-et-statistiques/publications/etudes-et-resultats/article/le-conge-de-paternite-un-droit-exerce-par-sept-peres-sur-dix
[ii] Source : https://www.courrierinternational.com/article/2012/10/29/pere-a-plein-temps