#63- Intermède 2020 – Humanité, vulnérabilité, fiscalité

En avril 2020, j’avais ébauché ce texte. Il y a quelques semaines, la radio annonçait que la réduction de l’activité économique sur Terre depuis le Coronavirus (et des confinements partout décidés) avait reculé de trois semaines seulement la date de l’épuisement des ressources annuelles de la Terre, la portant au 22 août 2020. Pour la France, le jour du dépassement était le 14 mai. Quand j’ai entendu la nouvelle, j’ai repris mon texte.


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10 avril 2020 – Fin de la quatrième semaine de confinement. Tout semble bloqué, sauf le temps qui s’écoule. Lentement, pour une fois. Lui ouvre des fenêtres, les unes après les autres. Celles qui offrent de nouvelles perspectives. Un nouveau regard. D’autres perceptions. A moins qu’il ne s’agisse d’anciennes sensations retrouvées. Celles d’une autre époque. De mon enfance. Celles d’une vie plus lente, qui envisage la confection de bracelets de pâquerettes comme une douce activité, à l’écoute des légers bruits, des odeurs et des couleurs de la vie, en lien avec la cétoine dorée qui se pose là tout près et dont je viens d’apprendre qu’elle est une espèce protégée. Ces sensations que les peintres s’efforcent de saisir, celles de la vie silencieuse.


Une partie de notre monde est devenue en quelques jours non essentielle.


Des pans entiers de notre organisation sociale, qui nous étaient présentés comme essentiels dans le monde d’avant, semblent s’être carapatés dans l’arrière cour. Une partie de notre monde est devenue en quelques jours non essentielle. Peut-être artificielle. Par des décisions politiques. Bonne (ou mauvaise ?) nouvelle, si l’on avait perdu la foi : le politique semble finalement avoir le pouvoir de décider de la suite (la suppression immédiate de libertés fondamentales ne peut qu’en faire la cynique démonstration). Mises de côté (mais pour combien de temps ?) la croissance et la mondialisation à tout va, la production de produits non alimentaires et de services autres que numériques, postaux ou bancaires. Arrêt des discours sur la confiance des ménages (comprendre les achats de tous ordres pourvu que toutes sortes de produits soient achetés, quels qu’en soient les visées et la toxicité). Stop par conséquent à l’accumulation d’objets et à la pollution qui en résultent (la voiture, les cosmétiques et les vêtements, secteurs jusque-là hautement valorisés rien que par les investissements publicitaires conséquents dans ces domaines), stop à la prise de risque économique et financière (et stop aux risques plus silencieusement pris par les personnes qui travaillent ou celles qui consomment). Mise en sourdine aussi des discours sur la nécessaire mise à distance de l’Etat et des services publics, ou de ceux sur la réduction indispensable de la dette publique (tandis que celle des ménages se devait de grossir en signe de confiance). Exit le sport télévisé hautement sponsorisé. Point mort pour la circulation aérienne massive à l’essence non taxée, réduction de l’extraction des sols de toutes les matières premières possibles qui alimentaient la machine à croissance et l’énergie qui la fait fonctionner. Mais… fermeture aussi de tous les lieux physiques de convivialité ou de culture, marchands ou non. Stop aussi aux formes de rassemblement et aux rituels relatifs à la vie ou à la mort, pourtant essentiels à notre humanité.

Je n’ai aucun doute sur la capacité des organisations qui avaient déjà du pouvoir à le garder. Ni à utiliser ce moment charnière pour définir des stratégies de relève. Le plastique, pourtant destructeur du vivant, est en passe de redevenir un matériau formidable dans les discours marketing. La pioche opportune (mais sans nationalisation, il ne faudrait pas pousser) dans l’argent de la sphère publique tant décriée en est un autre. Et pourtant, quelques signes sont annonciateurs d’un possible non retour en arrière.

Jusque là, dans nos sociétés marchandes, était considéré comme risqué l’investissement personnel ou entrepreneurial. Miser de l’argent dans le capital d’une affaire, dans un titre, une action. La prise de risque était financière et concernait notamment celles et ceux qui détenaient des deniers (ou ceux des autres, pour les banques) et risquaient… de les perdre (donc de devenir une personne subordonnée, comme tout ce bas peuple, oh malheur). Bien sûr, il existait une multitude d’entre-deux : les indépendant·e·s ou commerçant·e·s qui investissaient en empruntant, sans grand nom, sans héritage, sans réseau, sans beaucoup de deniers au départ. Toutes ces situations intermédiaires servaient d’alibi. Elles empêchaient de demander des comptes aux plus gros des détenteurs de capitaux. Car en ce temps-là, prenaient surtout des risques des personnes qui avaient la capacité financière de cette prise-là. Parmi les stratégies de réduction de ce dit risque, la lutte contre l’impôt progressif, l’impôt sur le revenu, sur le patrimoine ou sur les capitaux figurait en première ligne, puisqu’elle augmentait la capacité financière, donc la prise de risque (le courage en somme) des personnes détenant ces capitaux-là. Il suffisait de légitimer une culture de la moindre contribution fiscale en la diffusant largement dans toutes les strates de la société contributrices au-delà de la TVA. Comment ? Facile. Des Unes de journaux (éventuellement possédés par des milliardaires) déclinées à volo sur le thème « Comment payer moins d’impôts ? » (sinon t’es un peu maso), des services privés d’optimisation fiscale qui démarchaient les particuliers à longueur de journée pour vendre les clés d’une déclaration optimale, des écoles de commerce qui fabriquaient des fiscalistes et enseignaient, c’était leur créneau, l’art de contourner les règles de l’impôt. Car cet instrument, l’impôt, pourtant consubstantiel à toute démocratie quand son enveloppe, sa collecte et sa distribution sont vécues comme justes, c’est-à-dire collectivement réfléchies et décidées, était présenté depuis des décennies comme une barrière à l’initiative entrepreneuriale, à la liberté individuelle (comprenez celle des milieux les plus aisés). Voire le signe, quand on en payait un peu (je parle ici des impôts sur le revenu), d’un zèle absurde ou bien… d’un crétinisme avancé. Choisissez votre camp. Ce qui se comprenait quand on avait peu (limiter ses dépenses, mêmes fiscales, puisqu’on en a le droit, puisque tout le monde le fait) – bien que Kant ou Sartre nous renverraient à une utile réflexion sur ce qui se passerait si tout le monde faisait ça justement -, se défendait-il toujours quand on possédait beaucoup ? A quel moment situer la limite de la décence ? Puisqu’on avait, à son petit niveau, un pied peut-être pris au piège, puisqu’on bénéficiait soi-même de telle ou telle niche fiscale, comment pouvait-on en vouloir à plus riche que soi, à plus bénéficiaire que soi de la pratique la plus « smart » qui soit (Donald Trump s’était déclaré fièrement « smart » d’échapper le plus possible à l’impôt) ? Et comment dénoncer, dans le continuum des pratiques d’échappatoire parmi les contribuables, l’indifférence citoyenne ? Pouvait-on faire autrement que de louer la grande audace, l’art de constituer un butin, quand on en avait soi-même ramassé de plus ou moins grosses miettes ?


Toute personne peut se voir soudain projetée du côté de la maladie et de la mort.


Avec le Coronavirus, soudainement, le risque consiste en tout autre chose. Il est pris à présent par celles et ceux qui se rapprochent de la maladie, voire de la mort, sans retrait possible. Sans protection complète. Parce que c’est leur métier d’être au contact ou de prendre soin. Parce qu’il faut aller travailler. Payer le loyer. Parce qu’une vie est en jeu. Parce que c’est une mission publique. Mais aussi parce que toute personne peut se voir soudain projetée du côté de la maladie et de la mort, qui qu’elle soit. La vulnérabilité humaine, à laquelle une partie de la société pensait pouvoir échapper, à force de technologies et de concentration de moyens financiers, redevient universelle. Le risque change donc de camp. Ou plutôt il gagne tous les camps. Il avait perdu de sa réalité. Il redevient réel.


Jusque là, tout acteur économique un peu puissant pouvait soit la nier, cette vulnérabilité humaine, soit la cacher, soit la mépriser. Soit cyniquement, la créer.


Jusque-là, dans nos sociétés marchandes, si l’on en croit les revenus perçus par les personnes, on accordait plus de valeur à des métiers qui créaient des profits qu’à ceux rémunérés par la collectivité… Ces derniers étaient jugés « coûteux », puisque financés par l’argent public, grevant le budget et alourdissant la dette, « gaspillant » nos impôts. Ils étaient exercés par des gens qui ne méritaient pas leurs « avantages », faisaient grève et parfois même bloquaient le pays… les rats ! Alors qu’il aurait suffi de supprimer la fonction publique pour inviter leurs agent·e·s à devenir des salarié·e·s comme les autres, c’est-à-dire à développer la qualité première des carpes : le mutisme.

Parmi ces métiers, il y avait ceux qui consistaient à prendre en charge la vulnérabilité humaine. C’était devenu granuleux, la vulnérabilité humaine, dans un pays démocrate qui pourtant se prévalait d’une histoire collective sur les droits humains. Bien des discours en révélaient le grain gênant, dans un vocabulaire particulièrement choisi. Ça « agrandissait le trou » de la sécurité sociale (le trou de la défense, ou de la justice, en parlait-on autant ?). Ça créait de « l’absentéisme » à cause des arrêts de travail (Ces gens qui souffraient, franchement ! Des fainéants oui !), des « dépenses » de santé et des « frais de garde », des « congés » maternité ou parentaux trop coûteux pour des vacances, des droits sociaux et des « charges sociales », etc. Autant de services (de santé, d’éducation…) dont bénéficiaient pourtant de nombreux acteurs économiques qui préféraient les présenter comme des obstacles à la bonne marche du système marchand concurrentiel.

Jusque là, tout acteur économique un peu puissant pouvait soit la nier, cette vulnérabilité humaine, soit la cacher, soit la mépriser. Soit cyniquement, la créer. Ou tout cela à la fois. Ceci pouvait perdurer tant que restaient des personnes rêvant d’un être humain invulnérable, c’est-à-dire d’un monde partagé entre les personnes puissantes (qui envisageaient d’augmenter l’être humain grâce à des puces dans son cerveau, des loisirs sur Mars et des vies dans des bunkers) et les corvéables (qu’on rêvait de remplacer par des machines, c’était plus rentable ; cela s’appelait la productivité et la France était bien placée sur ce créneau de destruction massive des emplois par des machines au service des profits pour les preneurs de risques, c’est-à-dire les actionnaires et autres propriétaires des outils de travail). L’impunité contre le sans droits.

A présent, la valeur de ces activités (auxquelles seraient à ajouter les services d’exécution ou de livraison qui remplacent ici la production ouvrière transférée à l’autre bout de la Terre) est propulsée sur le devant de la scène. Parce que toute personne, même la plus puissante d’hier, prend conscience aujourd’hui de sa vulnérabilité. Parce que chacune est en mesure d’apprécier que les besoins de la collectivité doivent être définis et financés. Parce que la sécurité sanitaire, comme l’éducation, relèvent de la solidarité nationale. La valeur change de camp.


Comme nos entreprises n’ont sûrement rien à se reprocher, nous pourrions exiger que chacune déclare publiquement son niveau de contribution à la solidarité nationale.


Reste à savoir si nous serons capables d’exiger une juste contribution de chacun et chacune, en fonction de ses moyens, à la solidarité nationale. Vous savez, ce sentiment d’appartenance à un groupe humain teinté d’intérêt général, d’empathie et de générosité – d’humanité finalement – qui accepte et prend en charge la vulnérabilité humaine. Reste à savoir si nous serons capables de nous mêler vraiment, massivement, de son financement. Ce qui inclut la mise à plat du système fiscal. Ce qui inclut de demander des comptes. Et de retourner les données. Telle entreprise fait des profits ? Fort bien, j’en suis fort aise. Elle rend compte à ses actionnaires ? Tant mieux. N’oublions pas que son astuce pour obtenir l’assentiment généralisé, c’est qu’elle en a des tout petits, des minus, des qui placent trois francs six sous sans même savoir à quelle entreprise de destruction massive du monde vivant ils ou elles contribuent, tout ça pour assurer leur retraite parce que leur garde a dû baisser dans l’accélération générale et la consommation aveugle, et que dans leur élan de prévoyance, à présent leur confiance s’en est allée au marché plutôt qu’à la défense des solidarités collectives mises en place après la deuxième guerre. « Aie confiance, crois en moi… » disait Kaa dans le Livre de la Jungle.

Le temps est venu de rendre compte du revers de la médaille. Ce revers se nomme contribution nationale. Toute entreprise installée sur le territoire le fait pour des raisons certaines. Ses décisions sont rationnelles, et même raisonnables : elle bénéficie de nos routes et de nos voies ferroviaires, de notre système éducatif, de nos crèches, de notre système de santé, du traitement de l’eau et des déchets, de notre offre culturelle et de nos magnifiques paysages encore un peu préservés, de tout ce qui reste encore de collectivement assumé, protégé. Une entreprise qui, en contrepartie de tout ce commun qu’elle reçoit (mais que certaines entreprises ont tout de même envie de détruire, ou dont certaines anticipent la destruction), n’assumerait pas sa part de contribution à la collectivité, voilà qui devrait nous hérisser ! Alors, comme nos entreprises n’ont sûrement rien à se reprocher, nous pourrions exiger que chacune déclare publiquement son niveau de contribution à la solidarité nationale, en regard de son chiffre d’affaires et de ses bénéfices sur notre territoire. Cette contribution se mesurerait en impôts. Pas en placements dans sa fondation-type, dont l’un des buts est de diminuer sa note fiscale et dont l’autre est de choisir les dépenses sur lesquelles elle se forge une image héroïque, verte, ou solidaire (en plus du fait qu’elle oriente la marche du monde en choisissant à la place des peuples les projets d’avenir sur lesquels miser, quelquefois pour nourrir ses comptes en banques, d’autres fois pour nourrir ses fantasmes d’humanité « augmentée »).

Comme elles adorent les classements, les entreprises, nous citoyens et citoyennes de France, pourrions les positionner ainsi dans le hit-parade des entreprises citoyennes, celles qui contribuent à la solidarité nationale à la hauteur des recettes annuelles perçues sur notre territoire, c’est-à-dire à la hauteur de leurs facultés. Et ça tombe bien, c’est un principe qui figure, pour les citoyens, dans la DDHC de 1789 :

« Article 13 : Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.

Article 14 : Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »

Allons-y. Exigeons cela. Pour aller progressivement vers une contribution nationale à la hauteur des moyens de chacun et chacune. Pour le maintien et la juste contrepartie des bienfaits de notre système public. Et pour reconnaître enfin la commune vulnérabilité qui fait de nous des êtres humains.

#31- Intermède 2020 – Bisbille dans sa bulle

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Fin de la première semaine de dé-confinement. Il fait beau. Vous engagez, masquées, une longue promenade avec ta fille, jusque dans la forêt. Sur le chemin, vous ressentez, vivez, constatez quelques effets de l’accessoire à assumer. Inconvénients d’abord. Le masque empêche la reconnaissance d’une personne dans la rue au premier coup d’œil. Il limite vos envies d’engager la conversation, de vous lier avec des gens du quartier. A cause de la crainte d’avoir à répéter. Vous vous demandez qui va descendre du trottoir : la personne masquée ou celle qui ne l’est pas ? Ta fille remercie toutes celles qui s’adaptent, qui modifient leur trajectoire pour que le mètre recommandé soit respecté. Elle obtient le signe d’un sourire, un « de rien », une lueur bienveillante dans le regard. Vous vous glissez l’une derrière l’autre quand un croisement se prépare. Entrée dans l’ombre fraiche des arbres. D’habitude, les odeurs sont caractéristiques. Cette fois, l’accès aux senteurs boisées ne sera pas. Restent les sons et les images. Les multiples chants des oiseaux et les bruissements de feuilles. Les lumières dansantes et le bourdonnement des insectes ailés. Vous cherchez des avantages à présent. Les moucherons ne viennent pas vers sa bouche, trouve-t-elle. Vous n’aurez pas à vous laisser embrasser par des gens sans le vouloir, trouves-tu…

Occasion de te remémorer plusieurs épisodes de bisous ou de bises subies qui ont un jour percé ta bulle.

Tu as huit ou neuf ans. Ce garçon te regarde. Il te suit quelquefois. Il se mouche dans sa manche souvent. Son regard est vitreux. Aujourd’hui, il a fait plus : il t’a adressé la parole. Pour te prévenir qu’un jour, il t’embrassera. Tu ne veux pas. Tu as peur. Tu préviens ta grande sœur. Tu ne la quittes pas d’une semelle entre l’arrêt de bus et l’école, puis entre l’école et l’arrêt de bus, mais vous n’êtes pas dans la même classe. Il suffit d’un moment très court, pendant lequel elle n’est pas là. Le temps qu’elle arrive, ou que tu la rejoignes. Assez vite, il fait ce qu’il dit. Pendant ce bref instant, ce moment de solitude pour toi, il te fonce dessus. Tu essaies vainement de lui échapper. Il t’attrape, vise ta bouche, y dépose un baiser. Tu te sens salie. Ta sœur l’attend à la sortie. Pour lui casser la gueule. Elle tape. Tu es soulagée. Il ne t’embêtera plus. Tu savonneras et frotteras ton visage plus vite plus fort plus longtemps pendant des semaines. Il a imprimé une tâche sur ta bouche. Indélébile.

Tu es toute jeune adulte, au travail. Comme la veille, il s’avance vers toi, intrusif. Cette fois, tu réagis, un peu sèchement pour qu’il comprenne bien ton refus : « Je préfèrerais qu’on se serre la main. On se connaît à peine… On n’a pas été élevé ensemble. » Et tu lui tends clairement la main. Ton nouveau collègue vient d’arriver dans le service technique. Hier il s’est précipité sur toi pour t’administrer cette bise rituelle, qui t’a, spécifiquement avec lui, mise tout à fait mal à l’aise. C’est la première fois qu’un salut banal au travail te fait cet effet-là. Sans doute que son attitude ne témoigne que de son envie légitime d’intégration… Mais il y a façon et façon. Avec un regard équivoque, il était entré précipitamment et par effraction dans ton espace personnel. Ton corps s’était raidi. Le sien s’était avancé, rapide et direct, sur sa cible. Irruption sans hésitation. Ton visage, pris en otage.

Tu as plus de trente ans à présent et viens de changer de poste. Tout se complique quand il s’agit de se saluer le matin. Le cercle s’agrandit. Où s’arrêter ? L’usage veut que les femmes embrassent les autres femmes et tous les hommes… tandis que les hommes embrassent les femmes et serrent la main des autres hommes. Ces règles-là ne te conviennent pas. Les bulles des femmes ne sont jamais préservées, ni par les hommes, ni par les femmes. Un de tes collègues t’entoure de son bras chaque fois qu’il te salue, la main sur ton épaule. Tu sursautes, tu te dégages. Tu lui dis que tu n’apprécies pas son geste. Il comprend. Il arrête. Tu lui en es reconnaissante. Tu l’aimes bien. Regard amical. Il est à l’écoute en général. Un jour tu décides que désormais tu serreras la main de tout le monde, sans distinction. Explications nécessaires. Abolition de la bise pas toujours bien comprise. Etonnements mais soulagement.

Tu as changé de service. Réadaptation nécessaire. Le travail est plus humain, moins technique ; les liens sont forts, les relations tactiles, plutôt sincères. Il est grand. Très grand. Au moins deux têtes de plus que toi. Il se penche au dessus de ton visage pour te faire la bise, et lui aussi, pose sa main sur ton épaule. Tu ne le connais pas très bien, mais tu finis par lui dire que les deux faits t’indisposent, t’infantilisent, que tu ne peux pas être dans un rapport de réciprocité avec lui si rien ne change. Il ne sait comment réagir. Il rit. De gêne. Puis il s’entraîne. Pliant les genoux pour se placer à ton humble hauteur, il croise ses mains derrière son dos et te demande si sa position est adéquate pour une bise égalitaire… Tu souris. Il est sincère. Ça ira bien comme ça, pour toutes les prochaines fois !

Désormais tu animes des formations à l’égalité des sexes dans différents milieux professionnels. Une participante propose une situation qui la met mal à l’aise. Il s’agit des rapports inégaux qui s’instaurent quand un homme dans une position élevée s’autorise une relation de proximité physique avec une salariée bien en peine pour exprimer sa gêne. Les bises rituelles deviennent prétextes à placer d’autres gestes…

Le port du masque n’est pas très agréable. Cependant, il pourrait nous conduire à davantage distinguer les liens sincères des liens sociaux, et à effectivement instaurer une barrière qui restera entre toi et toute personne qui aurait l’intention, sans invitation, de percer ta bulle de protection. Il pourrait nous conduire à effectivement voir une barrière qui se dresse si l’on a l’intention, sans invitation, de percer une bulle de protection.

#16- 2020 – Intermède – Une immense différence

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Fin de la quatrième semaine de confinement. Au début de ce repli imposé vers le chez-soi, espérance d’un réveil. Voilà une chance inespérée d’observer les effets, en termes de répartition des tâches domestiques et familiales, de la présence à leur domicile, dans de nombreux foyers, des parents et de leurs enfants. Dans notre incroyable situation actuelle, cauchemardesque, voir enfin des pères auprès de leurs enfants autant que des mères. Peut-être pour du mieux ? Vision naïve ?

Signe d’un espoir de tirer parti de cette contrainte qui nous est imposée. De cette expérience infernale que nous vivons. Cette présence parentale augmentée allait modifier favorablement les comportements. Une présence paternelle comme maternelle. La prise de conscience générale allait advenir. Conscience de ce que sont les tâches domestiques et familiales, du temps qu’elles prennent, de qui les exécute le plus souvent, de l’injustice d’une telle division des rôles, y compris dans les foyers au double revenu. L’éveil allait conduire à une tentative de rééquilibre.

Après quelques semaines, changement complet d’opinion. Oh, pas sur le souhait initial, non. Sur la valeur d’une telle démonstration. Appréciation de l’énorme différence de contexte. Invalidité du raisonnement comparatif. Fourvoiement de l’imagination. Impossibilité de présager des effets d’un long congé paternité obligatoire à l’aune d’une présence paternelle massive imposée soudainement dans les foyers. Différence de taille.

Imaginer les implications de la décision de devenir père, si un congé paternité digne de ce nom était enfin en place. Supposer que les pères seraient alors conduits – et préparés psychologiquement – à interrompre leur travail. A consacrer alors autant que les mères plusieurs mois à leur bébé, à leurs autres enfants et à leur maisonnée. Et ce, dès la naissance. Projeter qu’une telle mesure aiderait chaque mère à entrevoir tel ou tel homme dans cette attention-là. A aménager ses propres attentes. A favoriser cette place que prendrait légitimement un homme nouvellement père. Prédire que cette anticipation les aiderait, eux-aussi, à se projeter dans le paternage. Parce que c’est la loi. Parce que c’est la norme. Parce que c’est un droit. Parce que c’est conforme. Ce choix de paternité-là, de concevoir un bébé avec ses implications, serait librement consenti, fait en connaissance de cause. Il serait possible d’y renoncer, si les devoirs manquent d’attrait. Rien à voir avec ce qui arrive aujourd’hui dans l’épreuve du chez-soi imposé, non entrevu comme possible, non imaginable dans le temps d’avant.

Lire de multiples articles de presse relayés par les réseaux sociaux sur les constats domestiques de notre funeste expérience : la montée des violences intrafamiliales, l’exacerbation des inégalités de répartition des tâches domestiques et parentales, l’augmentation de la charge mentale chez les mères compte tenu notamment de la continuité scolaire depuis le domicile. Lire qu’en Chine, les demandes de divorces ont explosé à la sortie du confinement. Prendre connaissance des déductions et conclusions, qui apparaissent ici et là sur ce que nous enseigneraient ces constats. Qui prouveraient que l’institution familiale traditionnelle doit disparaître. Ou qu’un allongement du congé paternité apparaitrait bien inutile sans remise en question des hommes et de leur éducation. Moins de propos captés sur la joie que certains enfants trouvent dans la nouvelle présence parentale. Ou sur la révélation d’un précédent équilibre bancal, d’un trop plein de travail.

Être d’accord pour tirer des leçons de l’épreuve du chez-soi. Être d’accord sur la mise au grand jour de ce qu’on savait déjà, mais discuter certaines conclusions hâtives. Manque d’une observation fine, à grande échelle. Convenir qu’une seule mesure ne pourrait pas tout. Que les changements de mentalités ne se créent que dans la durée, avec un long passage par l’éducation. En déduire que les réformes n’auraient un effet que sur les générations d’après… Continuer de penser, pourtant, que l’instauration d’un congé paternité long et obligatoire constitue une de ces réformes éducatives nécessaires. Car il indiquera à la première génération d’enfants que comme on ne naît pas mère, on ne naît pas père, mais qu’on le devient. Par sa seule existence, il montrera à toute une tranche d’âge la place reconnue par la société de la paternité du soin, ce qui est attendu des pères et ce qui leur est permis. Ce qu’ils ont le droit d’être et de devenir. Multiples. Apprenants. Inexpérimentés. Humbles. Attentifs. Dévoués. Soignants. Boules d’émotions. Vulnérables. Parents. Il éduquera massivement ces enfants à l’existence d’une masculinité du soin, parmi toutes celles possibles. Comment ? Par les responsabilités nouvelles et légitimes qu’il confèrera, par le temps qu’il accordera hors du travail rémunéré, par les droits sociaux qu’il créera, par les adaptations au travail auxquelles il conduira.

Observer d’abord que le confinement exacerbe les inégalités économiques et sociales, puisque le domicile revêt des réalités extrêmement variées selon les moyens des foyers. Observer ensuite qu’il révèle simplement où nous en sommes dans la conception et la réalité de la vie en couple hétérosexuel. Relativité du niveau de dialogue préexistant ou d’écoute de ses propres aspirations comme de celles de l’autre. Révélation que la vie à deux, voire la fondation d’une famille, peut avoir été programmée mais non anticipée, non discutée, non inventée. Mise en évidence que parmi les couples au revenu double ou unique, certains ont fondé leur relation sur une complémentarité des rôles de sexe, parfois sans même le décider réellement. Parce que c’est comme ça. Or, la spécialisation sexuée est justement ce qui peut poser problème pendant cette période de cohabitation permanente et forcée. Des hommes ont fondé leur identité, leur propre valeur, sur le travail rémunéré et leur vie sociale. Des femmes ont fondé la leur sur leur rôle domestique et parental. Qu’advient-il de cette image de soi longuement construite et de cette relation conjugale lorsque le travail des uns disparaît d’un coup, ou bien se trouve propulsé dans l’espace domestique, tandis que les tâches ménagères et parentales augmentent tout aussi soudainement ? Comment réaménager en quelques jours ou semaines des places qui se sont installées, normalisées dans la distinction claire des rôles et des responsabilités ? Valeur de soi acquise grâce à la spécialisation dans un domaine, à l’incarnation d’un rôle, un seul, spécifique et rassurant. Maîtrise de ce rôle et des compétences associées. Confusion possible avec la reconnaissance de soi par les autres. Parfois, rétention des savoirs ou de l’information, par souci de préserver cette place, cette valeur acquise. Par peur de perdre son identité. Risque de dénigrement de la personne non spécialiste qui s’essaierait dans ce domaine. Paradoxalement, risque concomitant de rancœur si elle ne tente pas… Possible déclin de confiance en soi si son rôle s’efface, si son utilité n’est plus flagrante. Risque d’une crise identitaire. Et pas que.

Adhérer à la nécessité du temps long, que de nombreuses prises de parole prônent en ce moment. Confirmer l’importance du sujet. Un congé paternité long et obligatoire modifiera l’idée que se fait chaque prochain parent, homme ou femme, de sa place dans la société. Modifier son propre positionnement prend du temps. De même que trouver de la valeur dans des activités ou dans un rôle non endossé jusque-là.

Refaire le passé. Imaginer qu’une loi, qui aurait été votée depuis longtemps, invite depuis lors les hommes à devenir paternants autant que les femmes à devenir maternantes. Se demander si la tension observée dans certains foyers serait aussi forte pendant l’épreuve du chez-soi. Penser que les choix de partenaires de vie comme les projets d’enfants seraient, avec cette dimension, autrement réfléchis, anticipés et discutés. Présumer qu’une expérience mixte de la prise en charge de la vulnérabilité humaine, à travers la satisfaction à temps complet des besoins d’un bébé, nous conduirait à une juste reconnaissance des activités de soin d’autrui. Reconnaissance qui serait d’une immense utilité actuellement.

Ne pas laisser penser que l’épreuve du confinement augure des effets d’un ambitieux congé paternité résultant d’un choix consenti. La comparaison ne tient pas. Le discrédit des bénéfices probables d’une telle mesure donnerait du grain à moudre à toute personne tenant à préserver l’ordre inégalitaire persistant entre les mères et les pères.

Défendre, au contraire, qu’elle est une des clés de sortie des déséquilibres actuels. Insuffisante, mais nécessaire.

#10- Intermède 2020 – Gratitude

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1er avril 2020. Troisième semaine de confinement bien entamée. Fin de confection d’un trente-troisième masque en tissu lavable, visant à protéger, un peu, le personnel soignant. Le long temps de ce labeur bénévole, improvisé, a produit bien davantage que ces malheureux masques « mieux que rien », qui seront distribués dès demain matin. Il a engendré de la gratitude.

Merci.

Merci à Mamie T., qui tricotait, cousait, brodait, reprisait… et transmettait. Sa machine à tricoter me semblait miraculeuse. Mamie T. collectionnait les boutons, les aiguilles de toutes tailles, les fils à broder, les fermetures éclair. Conservait des petits objets dont elle imaginait l’utilité future (« côté droit de la gabardine de B. » ai-je retrouvé écrit sur un petit papier accroché à une demi-fermeture éclair). Elle mettait de côté des fins de pelotes, pour les vacances avec ses petits enfants. Empilait des boites pour mettre tout cela dedans. J’ai retrouvé des dentelles inachevées dans l’une d’elles : elle s’appliquait, en secret, en dentellière. Avant son mariage, elle était modiste. Ensuite, elle a confectionné des tricots et des chandails, dont certains garnis de torsades. Elle veillait à ce que mon grand-père ne souffrât pas trop du froid de l’hiver, lui qui était, comme elle disait, au jardin, au hangar ou dans la cour. Elle a veillé aussi à ce que ses trois garçons et sa fille se débrouillent avec du fil. La machine à coudre est devenue pour mon père un objet familier, qu’on entretient, qu’on prépare, qu’on utilise et qu’on répare. L’outil de la confection des voiles et des coussins d’un petit voilier qu’il avait acquis. A la main, il recousait ses boutons et ses ourlets de pantalons. Mamie T. m’a transmis la valeur de l’objet récupéré ou réparé, le souci de le garder, son utilité future, le soin du quotidien. Elle m’a appris qu’une boite remplie de petits riens est pleine d’un trésor. Qu’un tel contenu peut nourrir l’imaginaire, la créativité et n’importe quelle journée. J’aime les boites et ce qu’il y a à découvrir dedans. J’ai d’ailleurs gardé le range-serviette en forme d’enveloppe que j’avais brodé avec elle un soir de pluie : une maison, un arbre, des fleurs, le tout en couleurs.

Merci à Mamie J., qui brodait toutes sortes de matériaux, créait et cousait des robes, réparait, tricotait, ornait des nappes et des draps de multiples fleurs et de rosaces, avait toujours un travail en cours… et transmettait. Elle tricotait si vite que le cliquetis produit m’impressionnait. Elle m’a montré comment croiser les fils à l’arrière, m’a appris à dessiner des motifs pour obtenir un jacquard multicolore, homogène et souple. Elle m’a transmis la patience ainsi que la beauté du travail bien fait. J’ai conservé la taie d’oreiller sur laquelle elle avait joliment brodé mon initiale personnelle : un grand V.

Merci à ma tante M., qui démontait des chemises d’adultes usées pour leur donner une deuxième vie, à taille d’enfants. M. qui a toujours eu des idées pour transformer, repriser, réutiliser des textiles. Qui a appris à ma cadette à réparer son vêtement troué. Qui m’a conseillée et encouragée maintes fois dans mes entreprises créatives. Qui m’a inspirée, sans doute sans le savoir.

Merci à ma mère, qui a fait de sa maison un atelier au service de son travail artistique. Qui nous emmenait, petites, fouiller, faire des affaires, choisir les bonnes pièces dans la foule du marché Saint-Pierre. Nous partions par le train jusqu’à Paris, pour une journée faite d’aventures colorées. Ma mère, qui a accumulé des monceaux de tissus pour créer sans peine des décors, des costumes, des accessoires, des mises en scène, au fil de ses idées et de ses incessantes nécessités. Qui m’a montré qu’on pouvait se fabriquer un monde et s’exprimer avec ses mains, en assemblant des morceaux de couleurs, des motifs de toutes sortes pour raconter des histoires. Qui avait confectionné nos vêtements quand nous étions enfants, quand les vaches étaient plutôt maigres et qu’elle n’avait pas trop le choix. Qui a craqué un jour, se sentant asservie, esclave de l’aiguille… mais qui a transformé la plaie, grâce à l’écriture d’une très belle nouvelle, intitulée initialement « La cousette » (sans doute a-t-elle changé de nom mille fois, mais celui d’origine est ancré en moi).  

Je ne peux pas certifier que ces femmes se sont, toute leur vie, senties aussi reconnues, puissantes et autonomes qu’elles auraient dû l’être. Et pourtant, voici ce dont j’ai hérité d’elles : l’autonomie. Ce que peuvent ces mains aux intentions fécondes. Les mains façonnent ou inventent, elles se tendent ou se donnent. Elles peuvent écrire, signer, jouer de la musique, créer, rythmer, encourager, féliciter, réparer, confectionner, peindre, nettoyer, embellir, nourrir, exprimer, semer, récolter… Elles peuvent soulager, aimer, masser, soigner… Donner ou recevoir, rendre ou ovationner à vingt heures chaque soir.

Dès mon installation hors de chez mes parents, à dix-sept ans, le premier achat que j’ai fait, avec mes propres deniers, a été celui d’une machine à coudre. De marque, et d’occasion. J’ai eu le sentiment dévorant de détenir ma liberté dans cet objet. De pouvoir la multiplier. J’ai fabriqué mes rideaux, mes nappes, mes housses de couette, créé cette robe de soirée, toujours vaillante dans l’armoire. Robe qui plait, trente ans plus tard, particulièrement à mes enfants ! Ma benjamine essaie de temps à autre la robe fourreau de maman, paradant comme une dame devant le miroir. En velours élasthanne, elle sied à toutes les tailles. J’ai tenté de leur communiquer cette envie de faire par soi-même. Par exemple, en confectionnant pour Carnaval des déguisements… qui ont parfois été dissonants pour notre temps. Mon aînée se souvient de Fifi Brindacier qu’elle a dû incarner… et présenter toute la journée à ses camarades déconcerté·e·s (décalée jusqu’au bout de ses tresses, car personne ne reconnaissait qui elle représentait…). Depuis, s’étant orientée vers les métiers de la mode, elle a récemment appris à créer des vêtements. Sa penderie contient enfin un pantalon sur-mesure. Confection et détention d’un habit unique, adapté en tous points à sa morphologie. Plaisir et estime que procure si bien le travail pour soi.

Face à l’immense sentiment d’impuissance qui nous submerge depuis des semaines, puiser en soi. Se tourner vers l’armoire à trésors, la savoir remplie de tissus conservés « au cas où ». Ouvrir l’ancienne travailleuse de Mamie J., consciencieusement agencée, aux contenus soigneusement et régulièrement organisés. S’installer devant sa machine à coudre et prendre conscience, grâce à sa fine et utile connaissance, de son humble puissance. Y trouver du sens.

« Redonner à nouveau de la valeur à des tâches qui n’en ont aucune dans le capitalisme parce que pas rémunérées … (…) ça nous fait relire d’une manière différente et vertigineuse cette modernité comme ce grand moment de progrès qui allait libérer les femmes de toutes ces tâches domestiques alors que ces tâches domestiques, elles viennent de tout un rapport autonome à sa propre existence. Le fait de pouvoir subvenir à ses propres besoins, d’être dans une forme d’autonomie par rapport à son alimentation, à sa maison, c’est aussi quelque chose dont on peut considérer que la modernité nous a dépossédé·e·s. Est-ce que c’est un progrès aujourd’hui de ne plus être capable de repriser une chaussette ? Je ne suis pas sûre. Toutes ces questions-là sont ré-ouvertes et complètement renouvelées par la problématique écologique. »

Emilie Hache, interrogée par Charlotte Bienaimé dans son Podcast à soi n° 21  produit par Arte radio :  « Ecoféminisme, 1er volet : défendre nos territoires » (minute 22)