#58- Objections, votre honneur ! (1ère partie)

Présentation plus ou moins détaillée de ces réflexions à mon entourage depuis plusieurs mois. Réactions surtout enjouées, yeux qui brillent, devant l’audace, l’idéalisme, la fraîcheur de la réjouissante perspective. Mais pas que.


Ecouter “Objections votre honneur 8 ! (partie 1)” en audio

Des réactions crispées, objections outrées, résignées ou indignées prennent aussi forme. Devant cette idée saugrenue, vertigineuse et transgressive. Forcément, puisque régénérante et transformatrice. Cette idée de réformer profondément le congé paternité. D’appeler à le rendre long, obligatoire, correctement rémunéré et partiellement consécutif à celui des mères. Des premières réponses sont forcément à avancer sur le ring des arguments. Dans le but de donner un genre romantico-poétique à la bataille, voici une traduction libre des propos tenus et des peurs jusque-là exprimées, entendues et comprises, en prose ou en rimes, voire en maximes.


ILLUSION

« Comment peux-tu t’imaginer que cette mesure va tout changer ? Que le sexisme va régresser en mettant en place un congé ? Que les femmes ne seront plus traitées comme des objets sexuels dévoués, au service des hommes de pouvoir, au réconfort, au faire-valoir ? Que les violences vont s’arrêter, que Me Too sera terminé ? »

Humilité

Tant de domaines différents ont besoin de bouleversements ! La mesure est humble au départ, mais qui sait ce qu’elle nous prépare, une fois nos rôles plus mouvants ? Osons une action qui promet de changer les mentalités.


CONTRADICTION

« Contre la norme tu te rebelles, mais tu en souhaites une nouvelle ! »

Assouplissement

Faire société implique des normes, qui évoluent et changent de forme. Les assouplir est une clé pour l’exercice des libertés.


INSENSEE !

« Imposer aux pères qu’ils apprennent à s’occuper seuls des bébés ! Quelle idée insensée tu as… C’est pas demain la veille qu’elle sera à l’agenda des politiques. Ni proposition citoyenne. Elle ne susciterait que critiques. »

Et pourtant…

En Suède et en Islande c’est fait. En Espagne une loi est passée. Des tribunes sont régulièrement signées de personnalités. C’est à présent le bon moment de nourrir, d’élever le débat, au niveau qu’il faut pour faire loi.


QUI ES-TU DONC ?

« Qui es-tu donc pour imposer à tous les pères un tel congé ? Qui es-tu donc pour leur dicter les contenus de leurs journées ? Quelle est la force de l’argument dirigeant l’usage de leur temps ? Attention, là, tu vas tout droit sur le terrain des hommes, crois-moi. Sûr qu’ils perdront en liberté, qu’ils n’y ont pas d’intérêt... »

Expression libre

Convenons donc que décider du bon usage de son temps c’est disposer de vraies libertés… Suis-je personne ou suis-je tout le monde ? Tout·e un chacun·e peut militer et revendiquer à la ronde, pour ces mères entraînées d’office à materner, à rendre service. Qui sitôt se trouvent enfermées dans ce rôle toute leur vie d’après, tandis que les pères sont enjoints de s’illustrer en gagne-pain.

Est-il besoin d’être spécial·e pour oser dire son idéal ? Dois-je justifier de m’exprimer ? Est-ce vanité de réclamer un acte de solidarité ? Que les hommes autant que les femmes s’impliquent dans le soin des enfants ? Qu’ils leur donnent aussi de leur temps, puisqu’elles gagnent leur propre pain ? Qu’avec elles, ils mettent en commun leurs quelques libertés restantes, plutôt qu’ils observent de loin les vies tendues de leurs amantes ? Leur restituer du temps pour elles, puisque toujours elles l’ont donné, serait une façon bien belle d’éprouver notre humanité.


ET NOUS ?

« Que nous restera-t-il à nous, femmes façonnées pour beaucoup, éducatrices destinées, si même dans le dernier domaine, où parfois nous nous sentons reines, les hommes s’immiscent et nous prennent notre seul espace, notre place ? Mais aussi notre identité, les enfants ou la maisonnée ? 
Ce qui a fait notre valeur, parce qu’on a dû lâcher ailleurs ? C’était si usant de lutter, suivant de fallacieux discours sur les temps bien articulés, qui entraînaient que toutes on court vers un improbable meilleur… »

Deux paniers

C’est un risque qu’il nous faut prendre, d’initier plus d’hommes à apprendre à se frotter dans le privé à la vulnérabilité. Avec plusieurs cordes, l’archer, tel ces femmes aux vies d’agents doubles, peut mieux s’en sortir en eaux troubles. Ses œufs dans plusieurs paniers. Juste place au travail donnée. Distance pour relativiser. Soigner tôt sa progéniture rend humble face à la nature. Si les deux parents prennent cette peine, et alors ainsi se comprennent, leurs vies, d’entente, seront plus pleines.


JAMAIS !

« Jamais je n’aurais pu confier un d’mes enfants à mon mari ! Le résultat me laisse pensive… Il croit compter moins à mes yeux que nos trois grands fils réunis. Née pour être mère, j’ai été, à leur service, j’en conviens, à m’inquiéter, agir au mieux, pour leur bien… et sans doute le mien. »

Hypothèse

S’il avait percé le secret de ses nombreuses capacités, peut-être aurait-il excellé… ? Apaisement des relations, tensions moins fortes à la maison, chaque fois le cocon quitté.

#29- 2019 – Rituel sournois

Ecouter “2019 – Rituel Sournois” en audio

Un jour de Janvier – Tu déposes Amélie à la crèche et tu précises à l’éducatrice que c’est son père qui viendra ce soir la récupérer. C’est son tour. Comme chaque lundi, tu mets ton alarme sur ton téléphone pour bien penser à le lui rappeler. Il est si distrait. Il n’y penserait pas sans toi. Une fois, il a oublié, ça t’a vaccinée. Désormais tu sais qu’il ne faut compter que sur toi. Tu prends ton poste préoccupée, la tête pleine de ta liste de tâches. Tu penses plusieurs fois dans la journée à cette soirée qui commencera sans toi, donc tu en profites pour noter sur ton mémo la liste des courses, et ce que tu prévois de préparer ce soir. Tu reprends ton travail. Tu repenses à ce qu’il va faire à ta place ce soir. Il pourrait passer prendre des couches en sortant de la crèche, tu as remarqué qu’il n’y en avait presque plus. Tu le lui demanderas tout à l’heure puisque tu vas l’appeler comme d’habitude. Pour être sûre. Tu replonges dans ton travail. A dix-sept heures, comme chaque semaine, tu passes ton coup de fil : « T’oublies pas de prendre Amélie ce soir ? Et tu peux racheter des couches, il n’y en a plus ? ». « Oui, oui, ne t’inquiète pas, j’ai mis ma sonnerie, mais merci de me le rappeler ». Il raccroche. Tu ne l’entends pas soupirer.

Le même jour de Janvier – C’est lundi. Comme chaque semaine, tu as démarré aux aurores ce matin et sortiras suffisamment tôt ce soir pour récupérer ta fille à la crèche. Tu adores le lundi… enfin ça dépend. Tu es partagé en fait. Tu ne sais pas trop formuler ce que tu ressens. D’un côté, tu as hâte de voir Amélie te tendre les bras quand tu arriveras ce soir (avec son grand sourire enjoué et sa course à petits pas vers toi). D’un autre côté, tu sais que tu auras droit à une série de recommandations, de rappels, de trucs à faire et autres instructions transmises par téléphone une demi-heure avant l’heure de la crèche… par sa mère inquiète. Parce qu’une fois tu as manqué l’heure. Parce que désormais tu risques, d’après elle, de toujours manquer l’heure. Elle a crié comme jamais ce jour-là. Elle s’est emportée comme si tu étais un monstre. Tu t’es excusé, rattrapé comme tu as pu, mais impossible de revenir en arrière. De gommer ce moment qui fait partie désormais des annales familiales. Des anecdotes racontées aux copines, à Noël, aux parents. Le père à qui on ne peut pas faire confiance. L’expérience l’a prouvé. Ta journée se déroule sans anicroche. Dix-sept heures, le téléphone va sonner, comme d’habitude. D’ailleurs il sonne. Tu réponds « Oui, oui, ne t’inquiète pas, j’ai mis ma sonnerie, mais merci de me le rappeler ». Tu raccroches. Tu soupires. Tu n’avais pas remarqué qu’il n’y avait plus de couches. De toute façon, elle a l’œil sur tout, elle est en veille, alors à quoi bon mobiliser aussi ton attention pour scanner les placards de la maison ? Elle s’en occupe et te fait des listes que tu exécutes. Tu as un peu huit ans le lundi soir. Elle est doublement maman le lundi soir. C’est mi-confortable, mi-insupportable.

Au-delà d’une répartition équitable des tâches, il reste à construire des relations de confiance réciproque. Dans beaucoup de couples, nous sommes encore loin du compte.

Ah, bien nommée Charge mentale,

concentrée, prise de tête parentale, tu t’étales, tu t’installes. Tu t’accroches, infernale, envahissant et tourmentant la figure la plus présente, de fait prépondérante, novice assignée, par suite spécialisée, reine fourmi qui règne sur la marche du foyer. Te résignant à tirer gloire d’un accaparement, tu figes sans crier gare les rôles dans le ciment.

Tu te fais moins prégnante, plus distante, virevoltante, quand deux parents partagent le mal dit maternage… Alors tu butines. Entre les deux, tu promènes ton pollen. Et on imagine meilleur ton miel, et plus sereins tes hôtes, côte à côte, et l’enfant deux fois confiant, quand, transformée en abeille, tu répartis tes ficelles.

Ah, fragile Confiance,

rude à accorder au parent moins habitué à câliner, à couver, et qui peine, à temps partiel, à prouver sa compétence quand le parent qualifié à plein temps s’est entraîné… Dès que le ventre a gonflé. Pendant des mois de congé. Dès que la vie a germé. Comme tu perds patience, hésitante, exigeante, devant une figure nouvelle, souvent paternelle, qui accueille la vie soudain, qui part au boulot l’matin, qui tarde à prendre le train des soins quotidiens. Absente toute la journée. Non préparée, non habituée. Cervelle plus épargnée tout le jour par le cadet des grands soucis de la veille sur le bébé de l’amour. Souvent, tu restes immobile, érodée, intranquille, à moitié morte devant la porte de l’entraide dans le couple. Te révélant tout sauf souple, jugeant l’autre insuffisant, chaque initiative médiocre, chaque geste en mieux reprenant. Tu gonfles de joie devoir fierté – parfois attention résignation ! – pour ce qui est de fabriquer développer confirmer conforter une spécialité du soin d’importance réassurance… Savoir faire au féminin et tout le tintouin. Tu te fais peau de chagrin, de temps en temps, quand il s’agit de laisser sa chance au débutant incertain. Le mépris n’est pas si loin.

Quand, au contraire, tu te déploies, que tu ouvres tout grand les bras, à petits pas dans les coulisses, de la personne qui se hisse au sommet de tous ses doutes, apprenante, hésitante, tu peux lui montrer la route, réjouissante, indulgente, des aptitudes conquises par ta douce entremise.

Capacités partagées, à temps complet.

« Si aménagement des temps il doit y avoir, la seule solution est de répartir entre les pères et les mères. Pour le plus grand profit de tous : couples, enfants et entreprises. »

Sylviane Giampino