#65- Congé 2ème parent : plusieurs principes à défendre

Ce texte a été écrit avant la parution du rapport sur les 1000 premiers jours de l’enfant préconisant un congé de 9 semaines pour le 2ème parent (Dir. Boris Cyrulnik) et l’annonce en septembre 2020 par le gouvernement d’un prochain passage du congé à 28 jours dont 7 obligatoires. Une mesure qui présentera une avancée, certes, mais très insuffisante pour engager la transformation sociale escomptée.


Ecouter “Congé 2ème parent, plusieurs principes à défendre” en audio

« La solution consistant à faire prendre la même durée obligatoire de congés parentaux aux deux conjoints mettrait tout le monde à égalité face à l’absence causée par le fait de devenir parent. »

Christophe Falcoz

Une partie des spéculations à suivre nécessitent un approfondissement ainsi qu’un débat de société au sujet de ce que nous souhaitons vraiment pour que les femmes et les hommes disposent des mêmes libertés, des mêmes capacités d’agir. Car c’est aussi en terme de libertés que la question de l’égalité se pose. Et c’est parfois grâce à une obligation que l’égalité se crée ou que la liberté s’acquiert. L’école est obligatoire jusqu’à seize ans. Cette obligation vise (théoriquement, en démocratie) à doter les enfants des ressources pour penser et agir librement. L’Etat a progressivement ouvert tous les métiers aux deux sexes. Il est capable de campagnes d’information pour que les femmes occupent une place plus affirmée et plus juste au travail, dans le sport ou dans la clientèle de leur banque. Parce qu’elles en sont capables. Quand bien même elles ne le seraient pas encore, elles le deviendront. Question de principe. Républicain, le principe. Et constitutionnel, de surcroît. Il reste désormais à obtenir de l’Etat (et de l’opinion publique) une forte incitation des hommes à prendre soin des bébés, aussi forte que celle véhiculée de tous côtés en direction des femmes. Parce qu’ils en sont capables. Et quand bien même ils ne le seraient pas encore, ils le deviendront. Question de principe. Républicain, le principe. De justice. La question du juste et de l’injuste pourrait utilement nous tarauder en permanence. Individuellement et collectivement.

Notre vie est théoriquement guidée par trois principes inscrits sur les frontons des mairies et des écoles. Cependant, telle que formulée, la fraternité, qui n’inclut historiquement que les hommes blancs, vise une complémentarité des rôles de sexe incompatible avec une égalité des sexes qui n’a été inscrite que beaucoup plus tard dans la constitution (R. Sénac). Ainsi, il est toujours attendu que nous maintenions et exercions, à l’issue d’un même choix, des rôles différents, et ce, même si ce choix nous paraît libre et éclairé. Etudier. Travailler. Emménager en couple. Suivre une formation loin des siens. Fonder une famille. Reprendre ses études. Réduire son temps de travail. Chacune de ces décisions ordinaires n’affectera pas de la même manière une personne identifiée femme ou homme à la naissance[1]. Si elle en a conscience, elle renoncera peut-être à ce choix (auto-censure), ou se résignera (choix contraint), voire en tirera sciemment des privilèges (la domination est-elle la forme de liberté visée ?). Sinon, elle constatera, ou pas, les conséquences différenciées de ses choix, immédiatement… ou des années plus tard. Dans les faits, nous sommes loin de l’atteinte de libertés égales entre les sexes, puisque d’apparentes possibilités égales (comme devenir parent) ne créent pas des situations comparables (morcellement de carrière versus surinvestissement professionnel).

La réforme du congé paternité peut et doit permettre aux jeunes pères de bénéficier de la même responsabilité sociale que les jeunes mères. « Dans le monde professionnel, dès qu’il y a une mesure qui favorise les femmes, une mesure similaire doit exister pour les hommes. », préconise Jérome Ballarin, fondateur de l’Observatoire de la Parentalité en Entreprise[i]. S’attaquer à la similarité des règles en vigueur (et à leurs effets) est un commencement.

Présumées dotées d’une capacité de soin envers les enfants par la loi comme par la pensée commune, elles se voient aujourd’hui responsabilisées à plein temps auprès de leur bébé plusieurs mois. Cette assignation suspend obligatoirement l’activité professionnelle des salariées. Cela présente des avantages (protection de leur santé, temps de soin effectif auprès du bébé, protection de son emploi)… et des inconvénients (déséquilibre créé avec l’autre parent, conséquences subies par la mère, probable retrait mécanique du père du soin au bébé).

Si le congé paternité d’aujourd’hui suspend, lui aussi, le contrat de travail, lui est très court, optionnel et insuffisamment indemnisé, surtout qu’il s’agit, comme le plus souvent, du revenu principal. Autre particularité, sa prise est flexible dans le temps, puisqu’il peut être pris entre la naissance et les quatre mois de l’enfant. Ces différences ne sont pas anodines ; elles n’ont pas les mêmes répercussions sur les relations et le pouvoir de négociation dans les couples, sur les liens tissés avec les enfants, sur l’influence de l’employeur sur la prise, la durée et le moment du congé, ni sur le positionnement du père dans son travail comme dans la sphère privée, en terme de temps disponible notamment.

Il ne s’agit pas que les hommes paient autant que les mères actuelles le prix de leur parentalité. Qui leur souhaiterait de risquer de vivre des promotions manquées, des présomptions d’indisponibilité à venir, des pensées à la place de, des remarques sexistes, une culpabilité croissante pour chaque jour travaillé passé loin de bébé, une concentration sur eux des tâches domestiques et de la charge mentale associée au foyer ? Les poncifs actuels décrient les besoins des enfants comme ceux des jeunes parents et nient les actuelles inégalités ménagères. Ils ont des implications sur l’embauche, le changement d’emploi, l’appréciation employeur et souvent l’estime de soi. Imaginons-les au masculin : « Il va demander un temps partiel à son retour », « Il ne sera pas impliqué sur tel emploi », « Il va s’absenter chaque fois que son enfant sera malade », « Il n’acceptera pas d’aller à une formation loin de chez lui », etc.

Hommes et femmes pourraient cependant vivre de concert leur parentalité, ses joies, ses difficultés, les réajustements de la vie qu’elle implique, et finalement tous ses effets directs comme indirects. Car ce n’est pas uniquement la fabrication d’un être humain dans son corps qui crée les conséquences vécues aujourd’hui par les femmes. C’est aussi l’organisation sociale de l’accueil du bébé et le rôle prépondérant assigné aux femmes dans ce domaine. En miroir, c’est le rôle plutôt passif que notre société donne aux (ou tolère chez les) jeunes pères.

Nous devons donc créer un accueil paternel de l’enfant aussi proche que possible de l’accueil maternel, comme cela est le cas pour les congés d’adoption. Certes, le congé maternité a été créé pour surseoir à l’accouchement et à l’allaitement éventuel. Il permet aussi à l’enfant de se construire pendant ses premiers mois grâce à l’accueil qui lui est réservé. Grâce aux liens de proximité initiés avec lui ou avec elle lors de l’écoute et de la satisfaction de ses besoins, qui le ou la préparent à sa future socialisation et à son autonomie croissante. 

Comme pour les mères, le congé du deuxième parent doit donc être obligatoire, suffisamment long et correctement rémunéré. Il doit aussi provoquer la création du lien privilégié né d’un vrai tête-à-tête avec le bébé. Né de la responsabilité quotidienne de l’enfant en toute autonomie.

Ces quatre dimensions me semblent indispensables et indissociables pour progresser à la fois vers l’égalité femmes-hommes, la facilitation d’un lien affectif père-enfant solide et apaisant, une compréhension plus grande au sein des couples, et une plus grande émancipation des personnes, femmes, hommes et enfants.


[1] Dans son pamphlet Sexus Nullus ou l’égalité, le philosophe Thierry Hoquet dénonce l’obligation de déclarer à l’Etat cette identification sexuée à la naissance (qui par ailleurs pose problème devant les multiples variations sexuées de notre espèce), étant données ses conséquences importantes en terme de restrictions de libertés. Selon lui l’Etat n’a aucunement besoin de connaître notre sexe, à moins que son but soit de lui attribuer un rôle social selon ce sexe et de le maintenir dedans. Ce qui va à l’encontre dans les faits des deux premiers principes républicains partout affichés.


[i] « Père et mère, même combat ? – Renforcer l’égalité en donnant de nouveaux droits équivalents », dans Cadres CFDT n°442, « Egalité, Paternité, Liberté », décembre 2010

#64- Un lien exemplaire pour l’enfant

Un ambitieux congé paternité ne serait pas seulement un droit responsabilisant pour le père, et un soutien libérateur pour la mère. Il permettrait aussi la création d’un lien affectif fort entre chaque parent et leur enfant et lui montrerait que le soin aux bébés n’a pas de sexe.


Ecouter “Un lien exemplaire pour l’enfant” en audio

Et l’enfant dans tout cela ? Chaque enfant se construira avec l’idée, incarnée par le modèle parental, que son sexe ne le prédestine pas à telle ou telle occupation. Que ses organes génitaux externes ne constituent pas une entrave à la liberté à laquelle toute personne peut prétendre. Que son sexe ne l’enferme pas dans des rôles prescrits. Quelle avancée ! Chaque enfant bénéficiera, dans les premiers mois suivant sa naissance, de la disponibilité, de l’attention, du soin et de l’affection de chacun de ses parents, dans des proportions proches. Si l’enfant a un seul parent, une deuxième personne choisie pourrait utilement le seconder véritablement avec cette disponibilité. Idéalement, son accueil pourrait être organisé dans un contexte d’entraide, serein et apaisé. Un contexte de construction commune et de normalité. Une aventure que les parents ouvriront et vivront ensemble, et qui inclura des moments de repos à tour de rôle. Puis des disponibilités parentales à tour de rôle, via des temps de travail réduits ou des emplois moins prenants. Deux fois plus de complicité offerte à l’enfant, ainsi que des liens renforcés par l’engagement quotidien. Une autorisation pour la mère de ne pas être spontanément dédiée à ce rôle. Une opportunité pour les deux parents de s’exercer à tenir le rôle. De trouver leur équilibre. L’arrivée d’un bébé est un bouleversement impossible à concevoir pour qui ne l’a pas vécu. L’arrivée au monde l’est sans doute autant, voire davantage. Elle marque à vie la mémoire de l’enfance et rejaillit dans la vie adulte. En grandissant, l’enfant verra ainsi ses deux parents participer à la maisonnée. Saura que la catégorie de sexe ne détermine pas les capacités d’une personne à assumer son quotidien ni celui d’une personne prise en charge. Que certaines tâches désagréables sont effectuées pour soulager l’autre et sont donc nobles plutôt que viles. Les compétences de soin, acquises pour qui en fait l’expérience, seront valorisées à ses yeux, au bénéfice de toute personne qui les exerce ou en fait sa profession. Deux parents dès le tout début, avec une attention grandie, pour comprendre les besoins de l’enfant. Enfant qui n’assistera pas à une spécialisation spontanée des rôles selon le sexe, qui au fil du temps crée dans les couples des disputes[1], des rancœurs, des sentiments sacrificiels. De la dépendance aussi, des rapports de domination, de la violence parfois. Et de nombreuses séparations, voire d’impossibles séparations à cause d’une dépendance matérielle. L’enfant apprendra que l’autonomie s’acquiert dans tous les domaines. Se projettera dans cette dimension-là, l’autonomie, cette forme de responsabilité de soi qui procure de l’estime de soi. Si la proximité avec chaque parent est forte et précoce, l’enfant pourra se confier, exprimer ses sentiments et préoccupations auprès de ces deux figures d’attachement. Si ses parents se séparent, le lien intense créé avec les deux permettra d’envisager la poursuite de relations profondes au delà de la séparation, comme le souligne Olivia Gazalé : « La meilleure garantie du maintien de bonnes relations avec les enfants après la séparation n’est-elle pas le temps parental avant la séparation ? C’est ce qu’ont compris les pères (de plus en plus nombreux dans les pays occidentaux, mais rarissimes dans beaucoup d’autres) qui s’occupent réellement de leurs enfants dès la naissance, et que l’on appelle, à tort ou à raison, les « nouveaux pères » ».

Si c’est un garçon, il enrichira sa propre personnalité, grâce au modèle paternel, d’aptitudes jusque-là plutôt associées au féminin, mais développées par son père devant et avec lui, comme l’expression de ses peurs, doutes, peines, ainsi que l’attention ou l’adaptation à l’autre. Si son père l’a fait avant lui, il partagera spontanément les tâches de la maisonnée dès l’enfance et en tirera la fierté que procurent l’autonomie et le soin de soi et de son environnement. La répartition entre frères et sœurs en sera plus équilibrée. Son attention à l’autre et sa contribution à la vie collective faciliteront sa vie amoureuse et, s’il partage un logement, sa vie avec autrui.

Pouvant se projeter dans d’autres rôles que celui de pourvoyeur de revenus, il mettra à distance ces attentes de performance qui pèsent sur les garçons et les hommes. Il aimera son père pour la grande qualité des liens particuliers qu’il aura créés dès la naissance avec lui, comme le souligne Olivia Gazalé : « Les hommes doivent donc tisser des liens profonds avec leur enfant dès la naissance (voire in utero) sans attendre, comme souvent, la marche et la sortie des couches. Les bénéfices de cette prise en charge sont immenses, en particulier pour les garçons. (…) si le fils doit s’identifier au père pour grandir, il doit l’aimer pour avoir envie de lui ressembler. Autrement dit, l’attachement préexiste à l’identification et la conditionne. »

Le destin des enfants, leur degré d’autonomie, leur estime de soi, leur rapport au travail ainsi que les relations entre les sexes peuvent être profondément influencés par les modèles reçus, comme le souligne bell hooks : « En apprenant à accomplir les tâches ménagères, les enfants et les adultes acceptent la responsabilité d’ordonner leur réalité matérielle. Elles et ils apprennent à apprécier leur environnement et à en prendre soin. Dans la mesure où tant de garçons grandissent sans qu’on leur apprenne à accomplir les tâches ménagères, une fois arrivés à l’âge adulte, ils n’ont aucun respect pour leur environnement et ne savent souvent même pas comment prendre soin d’eux-mêmes et de leur foyer. Dans leur vie de famille, ils ont eu la possibilité de cultiver une dépendance excessive et inutile vis-à-vis des femmes et, par conséquent, sont parfois incapables de développer un sens de l’autonomie qui soit sain. D’un autre côté, si l’on oblige généralement les filles à accomplir les tâches ménagères, on leur enseigne tout de même à les voir comme des activités avilissantes et dégradantes. Cet état d’esprit leur fait détester le travail domestique et les prive de la satisfaction personnelle qu’elles pourraient éprouver dans le fait d’accomplir ces tâches nécessaires. Elles arrivent à l’âge adulte en pensant que le travail en général, pas juste le travail ménager, est une corvée, et passent leur temps à rêver d’une vie dans laquelle elles ne travailleraient pas, ou en tout cas pas dans les services ou l’entretien. »

S’il s’agit d’une fille, elle verra qu’hommes et femmes développent ces aptitudes, partagent plus spontanément les occupations domestiques et familiales ainsi que l’investissement au travail ou dans d’autres sphères. Elle développera des envies personnelles sans l’ombre d’un futur rôle domestique et maternant que nombre de femmes intériorisent encore comme un destin spécifiquement féminin. Elle attendra d’une vie à deux un partage équitable des tâches et le respect des aspirations propres de chacun·e. Elle s’autorisera à réaliser ses rêves. Envisagera une vie libre. Elle pourrait même assez tôt et davantage qu’aujourd’hui se découvrir ambitieuse dans des domaines variés et fière de l’être. Puis vivre une vie, avec ou sans enfants, avec ou sans homme, qui ne suscite le jugement de personne à propos de ses choix ou non choix de maternité. Jugement qui advient encore aujourd’hui, au motif qu’une femme ne s’accomplirait qu’en devenant mère. Jugement qui conduit certaines d’entre elles à chercher un père potentiel en guettant, sans relâche, le tic-tac obsédant de cette soi-disante horloge biologique. Au lieu de vivre, fières d’être qui elles sont.


[1] L’étude IFOP déjà évoquée révèle que « Près d’une Française sur deux admet qu’il lui arrive de se disputer avec son conjoint au sujet des tâches ménagères, soit une proportion en hausse continue depuis une quinzaine d’années : 48% rapportent des disputes à ce sujet en 2019, contre 46% en 2009 et 42% en 2005 ».

#63- Intermède 2020 – Humanité, vulnérabilité, fiscalité

En avril 2020, j’avais ébauché ce texte. Il y a quelques semaines, la radio annonçait que la réduction de l’activité économique sur Terre depuis le Coronavirus (et des confinements partout décidés) avait reculé de trois semaines seulement la date de l’épuisement des ressources annuelles de la Terre, la portant au 22 août 2020. Pour la France, le jour du dépassement était le 14 mai. Quand j’ai entendu la nouvelle, j’ai repris mon texte.


Ecouter “Intermède 2020 – Humanité, vulnérabilité, fiscalité” en audio

10 avril 2020 – Fin de la quatrième semaine de confinement. Tout semble bloqué, sauf le temps qui s’écoule. Lentement, pour une fois. Lui ouvre des fenêtres, les unes après les autres. Celles qui offrent de nouvelles perspectives. Un nouveau regard. D’autres perceptions. A moins qu’il ne s’agisse d’anciennes sensations retrouvées. Celles d’une autre époque. De mon enfance. Celles d’une vie plus lente, qui envisage la confection de bracelets de pâquerettes comme une douce activité, à l’écoute des légers bruits, des odeurs et des couleurs de la vie, en lien avec la cétoine dorée qui se pose là tout près et dont je viens d’apprendre qu’elle est une espèce protégée. Ces sensations que les peintres s’efforcent de saisir, celles de la vie silencieuse.


Une partie de notre monde est devenue en quelques jours non essentielle.


Des pans entiers de notre organisation sociale, qui nous étaient présentés comme essentiels dans le monde d’avant, semblent s’être carapatés dans l’arrière cour. Une partie de notre monde est devenue en quelques jours non essentielle. Peut-être artificielle. Par des décisions politiques. Bonne (ou mauvaise ?) nouvelle, si l’on avait perdu la foi : le politique semble finalement avoir le pouvoir de décider de la suite (la suppression immédiate de libertés fondamentales ne peut qu’en faire la cynique démonstration). Mises de côté (mais pour combien de temps ?) la croissance et la mondialisation à tout va, la production de produits non alimentaires et de services autres que numériques, postaux ou bancaires. Arrêt des discours sur la confiance des ménages (comprendre les achats de tous ordres pourvu que toutes sortes de produits soient achetés, quels qu’en soient les visées et la toxicité). Stop par conséquent à l’accumulation d’objets et à la pollution qui en résultent (la voiture, les cosmétiques et les vêtements, secteurs jusque-là hautement valorisés rien que par les investissements publicitaires conséquents dans ces domaines), stop à la prise de risque économique et financière (et stop aux risques plus silencieusement pris par les personnes qui travaillent ou celles qui consomment). Mise en sourdine aussi des discours sur la nécessaire mise à distance de l’Etat et des services publics, ou de ceux sur la réduction indispensable de la dette publique (tandis que celle des ménages se devait de grossir en signe de confiance). Exit le sport télévisé hautement sponsorisé. Point mort pour la circulation aérienne massive à l’essence non taxée, réduction de l’extraction des sols de toutes les matières premières possibles qui alimentaient la machine à croissance et l’énergie qui la fait fonctionner. Mais… fermeture aussi de tous les lieux physiques de convivialité ou de culture, marchands ou non. Stop aussi aux formes de rassemblement et aux rituels relatifs à la vie ou à la mort, pourtant essentiels à notre humanité.

Je n’ai aucun doute sur la capacité des organisations qui avaient déjà du pouvoir à le garder. Ni à utiliser ce moment charnière pour définir des stratégies de relève. Le plastique, pourtant destructeur du vivant, est en passe de redevenir un matériau formidable dans les discours marketing. La pioche opportune (mais sans nationalisation, il ne faudrait pas pousser) dans l’argent de la sphère publique tant décriée en est un autre. Et pourtant, quelques signes sont annonciateurs d’un possible non retour en arrière.

Jusque là, dans nos sociétés marchandes, était considéré comme risqué l’investissement personnel ou entrepreneurial. Miser de l’argent dans le capital d’une affaire, dans un titre, une action. La prise de risque était financière et concernait notamment celles et ceux qui détenaient des deniers (ou ceux des autres, pour les banques) et risquaient… de les perdre (donc de devenir une personne subordonnée, comme tout ce bas peuple, oh malheur). Bien sûr, il existait une multitude d’entre-deux : les indépendant·e·s ou commerçant·e·s qui investissaient en empruntant, sans grand nom, sans héritage, sans réseau, sans beaucoup de deniers au départ. Toutes ces situations intermédiaires servaient d’alibi. Elles empêchaient de demander des comptes aux plus gros des détenteurs de capitaux. Car en ce temps-là, prenaient surtout des risques des personnes qui avaient la capacité financière de cette prise-là. Parmi les stratégies de réduction de ce dit risque, la lutte contre l’impôt progressif, l’impôt sur le revenu, sur le patrimoine ou sur les capitaux figurait en première ligne, puisqu’elle augmentait la capacité financière, donc la prise de risque (le courage en somme) des personnes détenant ces capitaux-là. Il suffisait de légitimer une culture de la moindre contribution fiscale en la diffusant largement dans toutes les strates de la société contributrices au-delà de la TVA. Comment ? Facile. Des Unes de journaux (éventuellement possédés par des milliardaires) déclinées à volo sur le thème « Comment payer moins d’impôts ? » (sinon t’es un peu maso), des services privés d’optimisation fiscale qui démarchaient les particuliers à longueur de journée pour vendre les clés d’une déclaration optimale, des écoles de commerce qui fabriquaient des fiscalistes et enseignaient, c’était leur créneau, l’art de contourner les règles de l’impôt. Car cet instrument, l’impôt, pourtant consubstantiel à toute démocratie quand son enveloppe, sa collecte et sa distribution sont vécues comme justes, c’est-à-dire collectivement réfléchies et décidées, était présenté depuis des décennies comme une barrière à l’initiative entrepreneuriale, à la liberté individuelle (comprenez celle des milieux les plus aisés). Voire le signe, quand on en payait un peu (je parle ici des impôts sur le revenu), d’un zèle absurde ou bien… d’un crétinisme avancé. Choisissez votre camp. Ce qui se comprenait quand on avait peu (limiter ses dépenses, mêmes fiscales, puisqu’on en a le droit, puisque tout le monde le fait) – bien que Kant ou Sartre nous renverraient à une utile réflexion sur ce qui se passerait si tout le monde faisait ça justement -, se défendait-il toujours quand on possédait beaucoup ? A quel moment situer la limite de la décence ? Puisqu’on avait, à son petit niveau, un pied peut-être pris au piège, puisqu’on bénéficiait soi-même de telle ou telle niche fiscale, comment pouvait-on en vouloir à plus riche que soi, à plus bénéficiaire que soi de la pratique la plus « smart » qui soit (Donald Trump s’était déclaré fièrement « smart » d’échapper le plus possible à l’impôt) ? Et comment dénoncer, dans le continuum des pratiques d’échappatoire parmi les contribuables, l’indifférence citoyenne ? Pouvait-on faire autrement que de louer la grande audace, l’art de constituer un butin, quand on en avait soi-même ramassé de plus ou moins grosses miettes ?


Toute personne peut se voir soudain projetée du côté de la maladie et de la mort.


Avec le Coronavirus, soudainement, le risque consiste en tout autre chose. Il est pris à présent par celles et ceux qui se rapprochent de la maladie, voire de la mort, sans retrait possible. Sans protection complète. Parce que c’est leur métier d’être au contact ou de prendre soin. Parce qu’il faut aller travailler. Payer le loyer. Parce qu’une vie est en jeu. Parce que c’est une mission publique. Mais aussi parce que toute personne peut se voir soudain projetée du côté de la maladie et de la mort, qui qu’elle soit. La vulnérabilité humaine, à laquelle une partie de la société pensait pouvoir échapper, à force de technologies et de concentration de moyens financiers, redevient universelle. Le risque change donc de camp. Ou plutôt il gagne tous les camps. Il avait perdu de sa réalité. Il redevient réel.


Jusque là, tout acteur économique un peu puissant pouvait soit la nier, cette vulnérabilité humaine, soit la cacher, soit la mépriser. Soit cyniquement, la créer.


Jusque-là, dans nos sociétés marchandes, si l’on en croit les revenus perçus par les personnes, on accordait plus de valeur à des métiers qui créaient des profits qu’à ceux rémunérés par la collectivité… Ces derniers étaient jugés « coûteux », puisque financés par l’argent public, grevant le budget et alourdissant la dette, « gaspillant » nos impôts. Ils étaient exercés par des gens qui ne méritaient pas leurs « avantages », faisaient grève et parfois même bloquaient le pays… les rats ! Alors qu’il aurait suffi de supprimer la fonction publique pour inviter leurs agent·e·s à devenir des salarié·e·s comme les autres, c’est-à-dire à développer la qualité première des carpes : le mutisme.

Parmi ces métiers, il y avait ceux qui consistaient à prendre en charge la vulnérabilité humaine. C’était devenu granuleux, la vulnérabilité humaine, dans un pays démocrate qui pourtant se prévalait d’une histoire collective sur les droits humains. Bien des discours en révélaient le grain gênant, dans un vocabulaire particulièrement choisi. Ça « agrandissait le trou » de la sécurité sociale (le trou de la défense, ou de la justice, en parlait-on autant ?). Ça créait de « l’absentéisme » à cause des arrêts de travail (Ces gens qui souffraient, franchement ! Des fainéants oui !), des « dépenses » de santé et des « frais de garde », des « congés » maternité ou parentaux trop coûteux pour des vacances, des droits sociaux et des « charges sociales », etc. Autant de services (de santé, d’éducation…) dont bénéficiaient pourtant de nombreux acteurs économiques qui préféraient les présenter comme des obstacles à la bonne marche du système marchand concurrentiel.

Jusque là, tout acteur économique un peu puissant pouvait soit la nier, cette vulnérabilité humaine, soit la cacher, soit la mépriser. Soit cyniquement, la créer. Ou tout cela à la fois. Ceci pouvait perdurer tant que restaient des personnes rêvant d’un être humain invulnérable, c’est-à-dire d’un monde partagé entre les personnes puissantes (qui envisageaient d’augmenter l’être humain grâce à des puces dans son cerveau, des loisirs sur Mars et des vies dans des bunkers) et les corvéables (qu’on rêvait de remplacer par des machines, c’était plus rentable ; cela s’appelait la productivité et la France était bien placée sur ce créneau de destruction massive des emplois par des machines au service des profits pour les preneurs de risques, c’est-à-dire les actionnaires et autres propriétaires des outils de travail). L’impunité contre le sans droits.

A présent, la valeur de ces activités (auxquelles seraient à ajouter les services d’exécution ou de livraison qui remplacent ici la production ouvrière transférée à l’autre bout de la Terre) est propulsée sur le devant de la scène. Parce que toute personne, même la plus puissante d’hier, prend conscience aujourd’hui de sa vulnérabilité. Parce que chacune est en mesure d’apprécier que les besoins de la collectivité doivent être définis et financés. Parce que la sécurité sanitaire, comme l’éducation, relèvent de la solidarité nationale. La valeur change de camp.


Comme nos entreprises n’ont sûrement rien à se reprocher, nous pourrions exiger que chacune déclare publiquement son niveau de contribution à la solidarité nationale.


Reste à savoir si nous serons capables d’exiger une juste contribution de chacun et chacune, en fonction de ses moyens, à la solidarité nationale. Vous savez, ce sentiment d’appartenance à un groupe humain teinté d’intérêt général, d’empathie et de générosité – d’humanité finalement – qui accepte et prend en charge la vulnérabilité humaine. Reste à savoir si nous serons capables de nous mêler vraiment, massivement, de son financement. Ce qui inclut la mise à plat du système fiscal. Ce qui inclut de demander des comptes. Et de retourner les données. Telle entreprise fait des profits ? Fort bien, j’en suis fort aise. Elle rend compte à ses actionnaires ? Tant mieux. N’oublions pas que son astuce pour obtenir l’assentiment généralisé, c’est qu’elle en a des tout petits, des minus, des qui placent trois francs six sous sans même savoir à quelle entreprise de destruction massive du monde vivant ils ou elles contribuent, tout ça pour assurer leur retraite parce que leur garde a dû baisser dans l’accélération générale et la consommation aveugle, et que dans leur élan de prévoyance, à présent leur confiance s’en est allée au marché plutôt qu’à la défense des solidarités collectives mises en place après la deuxième guerre. « Aie confiance, crois en moi… » disait Kaa dans le Livre de la Jungle.

Le temps est venu de rendre compte du revers de la médaille. Ce revers se nomme contribution nationale. Toute entreprise installée sur le territoire le fait pour des raisons certaines. Ses décisions sont rationnelles, et même raisonnables : elle bénéficie de nos routes et de nos voies ferroviaires, de notre système éducatif, de nos crèches, de notre système de santé, du traitement de l’eau et des déchets, de notre offre culturelle et de nos magnifiques paysages encore un peu préservés, de tout ce qui reste encore de collectivement assumé, protégé. Une entreprise qui, en contrepartie de tout ce commun qu’elle reçoit (mais que certaines entreprises ont tout de même envie de détruire, ou dont certaines anticipent la destruction), n’assumerait pas sa part de contribution à la collectivité, voilà qui devrait nous hérisser ! Alors, comme nos entreprises n’ont sûrement rien à se reprocher, nous pourrions exiger que chacune déclare publiquement son niveau de contribution à la solidarité nationale, en regard de son chiffre d’affaires et de ses bénéfices sur notre territoire. Cette contribution se mesurerait en impôts. Pas en placements dans sa fondation-type, dont l’un des buts est de diminuer sa note fiscale et dont l’autre est de choisir les dépenses sur lesquelles elle se forge une image héroïque, verte, ou solidaire (en plus du fait qu’elle oriente la marche du monde en choisissant à la place des peuples les projets d’avenir sur lesquels miser, quelquefois pour nourrir ses comptes en banques, d’autres fois pour nourrir ses fantasmes d’humanité « augmentée »).

Comme elles adorent les classements, les entreprises, nous citoyens et citoyennes de France, pourrions les positionner ainsi dans le hit-parade des entreprises citoyennes, celles qui contribuent à la solidarité nationale à la hauteur des recettes annuelles perçues sur notre territoire, c’est-à-dire à la hauteur de leurs facultés. Et ça tombe bien, c’est un principe qui figure, pour les citoyens, dans la DDHC de 1789 :

« Article 13 : Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.

Article 14 : Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »

Allons-y. Exigeons cela. Pour aller progressivement vers une contribution nationale à la hauteur des moyens de chacun et chacune. Pour le maintien et la juste contrepartie des bienfaits de notre système public. Et pour reconnaître enfin la commune vulnérabilité qui fait de nous des êtres humains.

#62- Un soutien libérateur pour la mère

Un ambitieux congé paternité ne serait pas seulement un droit responsabilisant pour le père, il constituerait aussi un moyen de soutenir la mère de l’enfant, pour qu’elle puisse préserver, autant que le père, des libertés personnelles conciliables avec l’engagement parental.


Ecouter “Un soutien libérateur pour la mère” en audio

Combien de jeunes mères sont propulsées dans le maternage exclusif, sentant grandir en elles un immense sentiment de solitude alors que le père s’évertue à faire ce qu’il peut ou croit pouvoir faire ? A l’autre extrême, Sylviane Giampino avance que « ces congés parentaux de naissance pourraient border au départ des femmes susceptibles de se laisser aller au fantasme de la toute puissance sur les enfants. » Combien d’entre elles, en effet, se sentent au départ grandies par cette nouvelle responsabilité, reconnues, mais des années plus tard risquent de sentir croître en elles une impression de vide ou d’inutilité ? Chaque mère, donc, y gagnerait. Chaque femme venant d’accoucher bénéficierait d’un droit à ne pas être considérée comme LA responsable de la sphère domestique et familiale « C’est normal, t’es une femme, t’es la mère ». Et d’un droit à récupérer physiquement d’un accouchement grâce à la mise en disponibilité admise, habituelle de son ou sa partenaire de vie. Donc finalement d’un droit au partage effectif avec l’autre parent de toutes les activités réalisables par une autre personne. Sans quémander ce partage. Sans le négocier au motif que « La perte de salaire est trop grande » ou que « Lui – c’est un homme – a de trop grandes responsabilités » même si « Elle aussi a des responsabilités mais elle c’est normal qu’elle s’arrête c’est une femme. » Ou au motif que son patron à lui ne verra pas cela d’un bon œil. « S’absenter alors qu’on est un homme… mais où va-t-on ? N’êtes-vous plus engagé dans votre travail ? On ne peut pas se passer de vous mon cher Maxime ! » Sans avoir à encenser et à remercier « C’est rare, j’ai beaucoup de chance que tu m’apportes ton aide » ou autres « Tu as tellement de chance d’avoir un mari, un compagnon, un partenaire « qui t’aide » !… »

Chaque nouvelle mère devrait bénéficier d’un soutien qui ne peut se traduire que par une disponibilité totale. Accordée. Systématique. Dont la qualité dépend de la personnalité du ou de la partenaire et de la force de la relation au sein du couple. Mais dont la quantité est accordée d’office socialement. Par la loi. Une disponibilité totale pour soutenir la mère, afin qu’elle se remette sereinement de l’expérience de l’enfantement. Pour qu’elle n’absorbe que sa part des occupations et des inquiétudes nouvelles, et pas, subrepticement, la part que l’autre parent devrait en réalité assumer. L’autre parent qui le plus souvent habite aussi là, est également parent de ce bébé et peut-être des frères et sœurs. Ce parent qui apparaît plutôt aujourd’hui comme le parent n°2, quand il s’agit d’aborder l’accueil du jeune enfant, mais encore dans la colonne n°1 de la feuille d’imposition établie par les services de l’Etat. Et dont le numéro de sécurité sociale commence toujours par 1, quand il est identifié homme à sa naissance. Lui qui avait aussi, comme la maman, un travail avant la naissance. Qui aimerait, comme elle, que ce travail ne soit pas trop perturbé par cet événement, mais qui n’y a peut-être pas pensé autant qu’elle, parce que l’expérience du bouleversement est moins vécue par la catégorie des hommes. Lui non plus n’aimerait pas avoir à pâtir de l’agrandissement de la famille. Aimerait que l’enfant ne fasse pas trop de bruit. N’éclabousse ni ses habitudes ni son engagement au travail. Or il se trouve que ce projet de faire et d’accueillir un ou une enfant s’est élaboré à deux. Et qu’il pourrait se réaliser à deux beaucoup plus que les lois sur les congés paternité et maternité ne le prévoient aujourd’hui. Parce qu’au delà d’accoucher et d’éventuellement allaiter, tout le reste – énorme – est partageable (comme le législateur l’admet d’ailleurs très bien lorsqu’il s’agit d’une adoption puisque le congé est intégralement partageable[1]). Tout le reste peut même être au départ irréalisable par la mère seule, si elle a vécu une grossesse ou un accouchement difficiles. Elle a été traversée par la vie, par l’enfant. De tous temps, dans les systèmes patriarcaux, les femmes s’entraident à cette période. Elles savent ce dont une autre a besoin. Parce que les déjà mères en ont vécu une version proche, même si chaque histoire est personnelle. Dans notre chemin vers la sortie du système patriarcal, nous pourrons accueillir massivement les hommes dans ce cercle. S’ils y entrent avec la bienveillance et l’humilité qui peuvent utilement se développer lors du soin des bébés, surtout si ces soins sont accompagnés et partagés, ils sauront mieux les comprendre, à force d’écoute et d’expérience. Et ils sauront davantage prendre leur part dans le travail domestique et familial. Les femmes ne seront plus assignées à ce rôle, pendant leur congé maternité puis au delà, en tant que femmes. D’autant que certaines ne s’y sentent pas particulièrement à leur aise, alors autant tenir compte des affinités autant que des responsabilités dans les décisions de partage… L’inscription des femmes dans les autres sphères n’en sera que facilitée. Car « Ce n’est plus aux femmes de se remettre en cause, de se torturer sur leurs choix de vie, de se justifier à tout instant, de s’épuiser à concilier travail, maternité, vie de famille et loisirs. C’est aux hommes de rattraper leur retard sur la marche du monde. » (Ivan Jablonka) L’exigence de performance pesant sur le travail des hommes n’en sera qu’allégée. Il est même envisageable que la vie en elle-même, au sens large, soit davantage préservée, défendue, respectée. Parce que sa magie et sa fragilité seront côtoyées de très près non seulement par les mères, mais aussi par beaucoup plus de pères qu’aujourd’hui.

Enfin, les femmes tiendront compte, dans leur désir d’enfant, de l’implication future du père dans le soin du bébé. Une implication allant de soi, ou a minima prévue par un temps dédié à cela. Je ne sais pas à quel point leurs choix amoureux ou leurs désirs d’enfants en seront modifiés, mais ce sera un élément de discussion utile dans les couples qui aujourd’hui n’abordent pas ce rôle paternel suffisamment tôt. La contraception, qui sait, sera peut-être enfin l’affaire de tout le monde. En effet, « Lasses d’être les seules à prendre en charge la contraception et à en subir les inconvénients, un nombre croissant de Françaises demandent que les choses changent et appellent à une prise de conscience collective »[2].

De la même façon que chaque femme bientôt mère est inévitablement envisagée comme future donneuse de soin à un nourrisson, chaque homme bientôt père sera aussi envisagé comme tel. Les femmes intérioriseront moins qu’aujourd’hui leur devoir de spécialisation dans la fonction-mère. Pour ancrer cette disposition d’esprit et ces pratiques, nous pourrions retenir la belle idée proposée par Ivan Jablonka, d’ajouter dans les recommandations faites aux époux dans les articles 212 et suivants du code civil « Les époux s’engagent à partager à égalité les charges matérielles, mentales et éducatives du ménage ».


[1] La durée du congé d’adoption pour un premier enfant est de 10 semaines. Il peut prendre effet 7 jours (dont les dimanches et jours fériés) avant l’arrivée de l’enfant au foyer. Si les deux conjoints travaillent, le droit est ouvert indifféremment à l’homme ou à la femme. Un couple bénéficie de 11 jours supplémentaires pour un enfant adopté si la durée totale du congé est répartie entre les deux parents. En ce cas, la durée du congé est fractionnable en deux périodes, dont la plus courte est de minimum 11 jours. Ces deux périodes peuvent être simultanées. (Source site du ministère du travail, 2019)

[2] Extrait de la présentation du livre de Sabrina DebusquatMarre de souffrir pour ma contraception, manifeste féministe pour une contraception pleinement épanouissante, paru le 3 avril 2019 aux éditions Les Liens qui Libèrent