#18- 2011 – Douloureuse prise de conscience

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Une dame s’approche. Petite cinquantaine. S’immobilise devant vous. Tu t’es consacrée depuis trois semaines à la préparation de ce stand. C’est votre première action publique depuis la création de l’association. Une dizaine de personnes se sont mobilisées pour accueillir le public. « Filles et garçons naissent égaux, certains plus que d’autres. », voici le thème de la Fête du livre de Villeurbanne, qu’heureusement vous avez pu intégrer pour faire connaître vos intentions, vos projets, votre vision du monde. Entre autres contenus créés pour l’occasion, vous avez recouvert un panneau de récits de « Vies manquées », histoire de créer du dialogue avec le tout-venant ou la toute-venante. Par exemple un homme qui à la fin de sa vie n’a « pas vu grandir ses enfants » tellement il a investi son travail. Ou une femme qui lors du départ des siens se rend compte qu’elle n’a rien entrepris pour elle pendant toutes ces années et s’en trouve alors bouleversée. Une femme orientée malgré elle dans la comptabilité alors qu’elle souhaitait faire de la mécanique, parce que, seule femme, elle « n’y aurait pas été à sa place ». Un homme qui n’ose pas demander un congé parental parce que « ça ne se fait pas dans l’entreprise, pour un homme ». Elle est émue. Silencieuse. Perturbée.  « Est-ce que je peux vous renseigner ? Avez-vous envie de parler ? » Elle bafouille. « Je passais par là. Je suis juste venue faire un tour et je me suis arrêtée devant votre stand. Je lis… Je déroule ma vie. Je me rends compte que je n’ai rien choisi. J’ai fait et élevé mes enfants parce que je suis une femme. C’était mon rôle. Ma place. Ils sont partis. Je n’ai plus rien. Mon mari a sa vie. Mon travail est sans importance. Sans intérêt. Jusque-là ça ne m’avait pas gênée. Et depuis leur départ c’est le vide… Vos récits, là… je m’y reconnais. » Elle ne retient plus ses larmes. C’est à ton tour d’être démunie. Vous avez provoqué un drame.

« Dès leur naissance, les femmes sont prises dans un cercle patriarcal. Postulant leur nature maternelle, ce cercle les voue à la fonction-femme, usage qui les confine dans l’espace domestique où elles sont glorifiées pour leur altruisme, fondement de leur nature maternelle – et ainsi de suite. »

Ivan Jablonka

3 réflexions au sujet de « #18- 2011 – Douloureuse prise de conscience »

  1. « Vous avez provoqué un drame » … peut être oui … mais aussi dressé un tableau qui a probablement permis à cette femme de confronter son expérience au réel et donc de la penser avec d’autres références… quelque chose de bon en sera nécessairement sorti !
    Ivan Jablonka a écrit le livre qui m’a le plus marquée… Laëtitia ou la fin des hommes … à lire absolument,…
    Caroline

    1. Quelque chose de bon, j’en suis sûre… mais avec le recul l’approche était un peu abrupte, sans doute difficile à encaisser. Nous ferions plus subtil aujourd’hui ! En tout cas cette dame est venue au stand le matin et revenue le soir. Discussion longue et posée la deuxième fois, avec l’expression d’un grand “Merci !” à notre encontre à la clé…
      Quant à Laëtitia, très belle lecture effectivement, sombre mais nécessaire. J’ai aussi beaucoup aimé son livre sur ses grands-parents : magnifique quête personnelle d’un historien sur la filiation et pour la vérité.

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